Le burn-out : symptôme d’un processus en six temps

Burn Out

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Pour ceux qui sont hypersollicités, comme pour ceux qui ont un sentiment d’inutilité, la crise sanitaire que nous traversons peut s’avérer éprouvante, les congés n’étant pas toujours bénéfiques.

Lors de ces moments de repos, le risque est d’aller trop loin dans la réflexion et de prendre sur soi toute la responsabilité d’une situation. Cela permet de ne pas se sentir victime impuissante, mais aussi de ne pas remettre en question son environnement de travail, surtout dans un contexte devenant très tendu sur l’emploi. Mais cette défense inconsciente peut faire le lit de l’épuisement professionnel, burn-out en anglais.

Par définition, ce syndrome se réfère au travail. Pour autant, ses symptômes – épuisement émotionnel, dépersonnalisation, perte de l’estime de soi – touchent un individu. Et de fait, le burn-out participe de dynamiques subjectives combinant des éléments individuels, relationnels et organisationnels. Une dynamique globale à laquelle on peut donner le nom de « terridéalité » – la terreur (terri-) et l’idéalisation (-idéal-) créant une pseudo-réalité (-ité) dont le chiffre est le totem et la réalité le tabou – et où l’on distingue six phases successives.

Emprise et accélération…

La première phase démarre avec un nouveau contexte de travail : la personne vient de l’intégrer, ou bien il y a eu un changement (même minime en apparence) dans l’organisation des tâches ou dans la hiérarchie.

Plutôt enthousiaste, le travailleur souhaite s’engager dans l’idéal fort (son soleil) porté par le collectif et la communication institutionnelle. Et cet idéal est d’autant mieux assimilé que l’arrière-fond est plutôt noir : par exemple, une menace sur l’emploi (globale ou ciblée), un contexte relationnel de lutte des places et de narcissisme exacerbé, ou encore une fragilisation des repères (changement d’entreprise ou de métier, objectifs non réalistes, évaluation déstabilisante, etc.).

La dynamique terridéale se met ainsi en place – plus l’affect de terreur est intense et inconscient, plus l’idéalisation grandit – et peut donner lieu à une fuite en avant défensive, en collusion avec une accélération sociale.

À ce moment-là, l’organisation est vécue de manière positive. Les sensations liées à l’accélération peuvent être grisantes, et elles permettent de compenser, voire de recouvrir le vécu négatif.

Décollage par l’« idéologie »

Dans cette surenchère, des échecs et l’atteinte de limites se produisent inévitablement. Pour se défendre de ce vécu négatif, l’idéal se transforme en « idéologie », allégeance collective à un idéal d’absence de limites, qui repose sur un imaginaire social relayé par six injonctions inconscientes : « L’idéal, c’est toujours plus », « Ce qui compte, c’est le compteur », « Tout doit disparaître, dans une accélération spatiale et temporelle », « Être un super héros, sinon rien », « Si tu as un problème, tu es un problème » et « Tout est possible, avec des solutions ».

Se conformer à ces injonctions permet d’être reconnu dans un groupe soudé autour de l’idéologie commune. Et, en contrepartie l’emprise de l’organisation se développe. Les individus doivent se conformer à ce qui est attendu, à tel point qu’à leur insu, les affects, perceptions et sensations s’en trouvent déformés. La dépersonnalisation, une des caractéristiques du burn-out, peut alors s’installer.

Pensée, relations et santé affectées

À ce stade, l’idéologie colonise pleinement l’imaginaire. L’individu est emprisonné dans la terridéalité que relaient notamment des dispositifs techniques et de management comme le évaluation. Ses capacités à penser, à établir des liens autres que narcissiques et à ressentir son corps et ses émotions s’en trouvent affectées.

La pensée devient instrumentale et totalement dédiée à l’idéologie, n’intégrant plus les perceptions, sensations et besoins du sujet. Il en va de même des relations : elles se cristallisent en « bulles spéculatives narcissiques ». Celles-ci renvoient ce qui n’est pas valorisant vers ceux qui sont à l’extérieur du collectif. Mais elles renforcent également la terreur d’en être exclu et la dépendance au système global, tout en attaquant les fondements de l’estime de soi (un des symptômes du burn-out). Enfin, on assiste alors à un déni des limites quantitatives et qualitatives du corps, une agitation motrice utilisée comme décharge, et des décompensations somatiques (maladies) plus ou moins graves.

Fusion et prises de position

Entre le sentiment d’identité, la bulle spéculative narcissique et l’organisation réelle, la confusion s’installe, et elle procure un sentiment de toute-puissance qui recouvre un vécu d’impuissance.

Reposant sur l’idéologie de l’absence de limites, elle engendre une projection de la destructivité sur tout ce qui la contredit et augmente de manière illusoire et fragile l’estime de soi. Dans cette logique, rien ne peut rendre compte de ce qui est négatif, puisque les affects, le vécu et la subjectivité sont niés, de manière interne et externe. En particulier, ne peuvent être comptabilisées les manipulations, jeux de pouvoir, affects, vulnérabilité, souffrance et violence.

Cette dynamique psychique inconsciente rend alors visibles trois positions qui en découlent (pour les couleurs, voir l’illustration ci-dessus) :

  • l’attitude paranoïde (en jaune) du tyran qui impose ses idées, s’identifie à l’idéal et décharge la négativité sur l’extérieur ;
  • celle, perverse (en vert), reposant sur des défenses narcissiques et pouvant devenir harcelante, surtout par le moyen de justifications chiffrées ;
  • ou celle, cryptique (en rouge), de celui qui se trouve anéanti dans cette dynamique, ce qui peut aussi lui conférer une forme de pouvoir.

Ces trois positions étaient présentes dès le début et structurent tout le système dynamique. Mais dans cette phase de fusion et d’emprise, les individus en adoptent une qui devient dominante. La réalité doit alors se plier aux exigences délirantes de cette terridéalité, dont les conséquences sont déniées collectivement.

tout peut être dit, voire montré ou démontré, mais rien ne peut être entendu – et en particulier, ce qui ne rentre pas dans cette idéologie clôturante. Plus encore, des victimes collatérales sont indispensables pour le maintien du niveau de terreur inconsciente.

Ce processus explique pourquoi des personnes ne sortent pas d’un environnement de travail manifestement toxique dont elles voient les effets sur leurs collègues proches – notamment dans certaines situations par la multiplication de dépressions, de burn-out et de suicides.

Rupture face à la réalité

Immanquablement, le réel fait retour à un certain moment, la menace se manifeste concrètement, et les limites ne peuvent plus être niées. C’est souvent le corps qui donne l’alerte. Par exemple, l’épuisement physique et émotionnel empêche le sujet de se lever un matin. Ou bien, une décompensation somatique impose un arrêt mettant à distance l’environnement de travail.

Le « détonateur » d’un tel effondrement correspond à une menace devenue tangible et même incontournable : la rupture est en fait celle du système défensif collectif, dont le symptôme est le burn-out des sujets enfermés dans la position cryptique. Elle conduit à l’exclusion de ceux dont les ressources ou les défenses ne suffisent pas pour se maintenir dans l’illusion collective. Et bien souvent dans le burn-out, ce sont les trop bons disciples de l’idéologie qui tombent en premier.

Le système d’ensemble s’en trouve renforcé dans ses trois composantes. En effet, la décharge de destructivité sur la position cryptique nourrit la terreur inconsciente, la position perverse s’en saisit pour en faire une source de jouissance, et la position paranoïde alimente l’idéalisation de l’organisation. Et tout ceci peut expliquer la multiplication des risques psychosociaux (composante cryptique), de comportements tyranniques (composante paranoïde), ainsi que de comportements pervers et narcissiques (composante perverse) étayés sur le chiffre érigé en fétiche et les jeux de pouvoirs.

Lire la suite, « Effondrement du sujet », sur le site https://theconversation.com

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