Le colloque « Souffrances au travail : quelles perspectives après France Télécom ? » s’est tenu ce lundi 20 janvier au Sénat. Des syndicalistes, des chercheurs, des avocats et des politiques sont revenus sur le verdict rendu dans l’affaire France Télécom il y a un mois et plus généralement sur les conséquences de l’organisation du travail dans le secteur public en termes de santé.
« Le suicide, l’envers de notre monde ». Ainsi titraient les sociologues Christian Baudelot et Roger Establet leur ouvrage réactualisant l’étude fondatrice de Durkheim sur le suicide, publié un peu plus d’un siècle plus tôt. Pour Christian Baudelot, intervenant dans ce colloque, « ce n’est pas la société qui éclaire le suicide, mais le suicide qui éclaire la société » et force est de constater que, en ce qui concerne la santé au travail, les vagues de suicide dans certaines entreprises en disent beaucoup sur leur fonctionnement. Ce lien entre un phénomène radicalement individuel et des évolutions économiques et sociales était au cœur de la réflexion des intervenants et du verdict rendu par le tribunal correctionnel de Paris le 20 décembre dernier sur les suicides à France Télécom.
Verdict dans le procès France Télécom : « Une avancée jurisprudentielle »
L’affaire remonte à 2004, au moment où l’État cesse d’être l’actionnaire majoritaire de France Télécom et que Didier Lombard est nommé PDG en 2005 pour succéder à Thierry Breton, fraîchement nommé ministre de l’Economie. Le nouveau PDG de l’entreprise lance alors plusieurs plans de réorganisation : « NeXT » (Nouvelle Expérience des télécommunications) et « ACT » (Anticipation et compétences pour la transformation), qui prévoient 22 000 suppressions de postes sur trois ans (sur les 110 000 que compte l’entreprise), sans licenciement. Comment donc supprimer 20% des postes d’une entreprise sans licencier des salariés ? Didier Lombard répond lui-même dès l’annonce de ces plans : « [ces départs] je les ferai d’une façon ou d’une autre, par la fenêtre ou par la porte. »
Le tribunal correctionnel de Paris a condamné les méthodes de gestion qui ont été mises en place pour atteindre cet objectif et qui ont conduit aux 19 suicides, 12 tentatives et 8 dépressions ou arrêts de travail dont il était question dans l’instruction judiciaire. Si le chef d’accusation retenu est le harcèlement moral, la justice a ici condamné « une politique d’entreprise visant à déstabiliser les salariés et agents et à créer un climat anxiogène », passant notamment par des « incitations répétées au départ, des mobilités forcées, des missions dévalorisantes », voire « des manœuvres d’intimidation ».
Sophie Taillé-Polian, sénatrice Génération.s du Val-de-Marne, à l’initiative du colloque, a qualifié ce jugement « d’exemplaire […] pour que le harcèlement institutionnel soit pris en compte aujourd’hui dans notre pays » : « Cela démontre que le harcèlement au travail ne se limite pas au harcèlement individuel, mais peut être une politique générale organisée par l’entreprise dans un but bien précis, éliminer des salariés. » L’avocate des parties civiles, Maître Sylvie Topaloff, présente au colloque, rejoint la sénatrice et qualifie ce verdict « d’avancée jurisprudentielle ». « Nous avons fait le choix, et je pense que c’était le bon, de ne pas inclure les cadres intermédiaires dans la poursuite, précisément pour obtenir cette avancée jurisprudentielle » a-t-elle expliqué, puisque « les droits de la défense étant ce qu’ils sont », élargir l’accusation aurait compliqué le procès. Le professeur de droit du travail Michel Miné, autre intervenant de la table ronde sur le procès France Télécom, précise : « Ce verdict vient effectivement compléter une jurisprudence qui vise des méthodes de gestion et plus seulement des relations interpersonnelles ».
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