Par Alexia GARDIN, professeure à l’Université de Lorraine IFG CERIT
« Que suis-je autorisé à dire, que suis-je autorisé à faire ? »,voilà une question que les médecins du travail sont de plus en plus amenés à se poser. La raison en est simple : pour avoir alerté la communauté de travail sur les risques qui pèsent sur la santé des travailleurs, plusieurs d’entre eux ont été accusés par leurs employeurs d’avoir violé le secret professionnel auquel ils sont déontologiquement astreints. Des plaintes ont été déposées devant les chambres disciplinaires des conseils de l’Ordre des médecins et, sans que l’argumentation n’emporte vraiment la conviction (1), elles ont été jugées recevables par ces dernières.
Certains y ont vu une possibilité offerte à l’employeur de museler le médecin du travail, de le contraindre au silence alors que l’efficacité de son action repose fondamentalement sur la parole (2). Pour d’autres, en revanche, il ne s’agit que d’un simple rappel de la responsabilité déontologique qui vaut pour tout médecin (3). Ce qui est certain, c’est que la possibilité de poursuite disciplinaire sur plainte de l’employeur invite à mener une réflexion sur l’étendue exacte du secret auquel ce professionnel de la santé au travail est juridiquement astreint. Le risque « d’autocensure » (4) infondée ne pourra être écarté sans la connaissance précise du territoire sur lequel la parole des médecins du travail n’est pas autorisée à se déployer, Pour l’heure, cette réflexion a été essentiellement menée par les médecins et leurs syndicats (5) et l’on peut s’étonner que les juristes ne se soient pas saisis d’une question qui ne peut tire traitée sans une analyse des règles, fussent-elles, pour partie, élaborées par un ordre professionnel (6).
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1 – V. sur ce point les réflexions de P. Adam, « Médecins du travail : le temps du silence? », Dr. soc. 2015, p.541.
2 – C. Duhamel, « Respect du secret professionnel : en médecine du travail, le silence est d’ordre », Alternatives économiques, mai 2008 (consultable sur www.altematives-economiques.fr).
3 – C. Frouin, « La responsabilité déontologique du médecin du travail », Cah. Soc. 2014, n »268, p. 655.
4 – Interrogés sur l’impact de la position de l’Ordre, qui a admis la recevabilité des recours des employeurs, certains médecins du travail évoquent au mieux une incitation à la prudence, au pire à l’autocensure. V. « Quelques impressions sur la médecine du travail », Cah. Soc. 2014, n°268, p. 658.
5 – A. Carré, « Médecine du travail : comment déjouer les abus du secret médical », Santé et travail n° 64, octobre 2008 (consultable sur www.sante-et-travail.fr) ; A. Carré, D. Huez, « Secret professionnel en médecine du travail. Secret médical et secret de fabrique », Les cahiers SMT, n° 17, mai 2002 (consultable sur www.a-smt.org) et déjà : P. Loiret, « Le secret médical et la médecine du travail. Histoire et textes », DMT n° 48, 4e trimestre 1991, p.313.
6 – Sur le rapport entre droit et déontologie, on relira N. Decoopman, « Droit et déontologie. Contribution à l’étude des modes de régulation », In Les usages sociaux du droit, PUF, 1989, pp.87 et s. Le Code de déontologie médicale dépend très étroitement de l’ordre juridique étatique puisqu’il est soumis au contrôle de l’administration et du Conseil d’État. Il est publié au JO par décret, ce qui lui confère une valeur réglementaire, et est codifié dans le Code de la santé publique aux articles R.4127-1 et s.
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