Vu du Moyen Âge : le droit du travail est-il contrainte ou protection ?

Dans la Loi

Partager cet article :

Le droit du travail est un véritable serpent de mer de la vie politique française. Après les « contrats première embauche » de Jacques Chirac, la défiscalisation des heures supplémentaires de Nicolas Sarkozy, la loi travail de François Hollande, le nouveau président a annoncé sa future loi travail comme l’une des mesures phare de son quinquennat.

Les partisans de cette réforme jugent les règles actuelles du marché du travail trop rigides, peu adaptées aux nouvelles formes de travail. Pour ces politiques qui parlent de simplification, de fluidification et de liberté d’entreprendre, le Code du travail français est à l’origine d’une grande partie des problèmes économiques du pays et fait figure de nouveau mammouth à dégraisser. On pourrait croire que la situation est inédite et liée à l’émergence des nouvelles technologies qui révolutionnent nos manières de travailler. Il n’en est rien.
La Révolution a constitué un grand moment de fluidification des lois du travail. De 1789 à 1791, les élus de la Révolution ne cessent de débattre à propos des corporations, dont le fonctionnement structure une part très importante du marché du travail au Moyen Âge et à l’époque moderne. Les libéraux de la Révolution française ont érigé en repoussoir les corporations médiévales pour promouvoir le « laisser faire, laisser passer » et contribuèrent à former l’image d’une époque médiévale où la liberté d’entreprendre était brimée par des règles absurdes. Pourtant, assimiler les corporations au Moyen Âge à un symbole de l’immobilisme imposé par des professionnels établis dans leur situation est plus que réducteur.

Hiérarchiser et protéger

Les corporations médiévales naissent dans les villes entre la fin du XIIe et le début du XIIIe siècle. Il s’agit de regroupement de travailleurs pratiquant une même activité. Tous les taverniers, marchands ou cordonniers d’une ville devaient faire partie de leur corporation de métier. Les intellectuels avaient aussi leur corporation : on l’appelait université.
Ces individus s’organisent pour réglementer leur activité, se prêter assistance et hiérarchiser les rapports de production. La corporation bénéficie avant tout du monopole d’une certaine activité dans une ville donnée. Impossible de fabriquer ou de vendre un tonneau bricolé sur son temps libre si vous ne faites pas partie de la corporation des tonneliers ! La corporation est libre de choisir qui rejoint ses rangs. Pour y rentrer, il faut montrer patte blanche en jurant de respecter son règlement et d’obéir à ses responsables. Ces derniers sont chargés d’élaborer, de modifier et de faire respecter les règles internes, ce qui permet d’assurer la qualité des productions ou des services que la corporation fournit et qui font sa réputation.
Mais en son sein, la corporation est avant tout organisée à l’avantage des maîtres, ceux qui contrôlent les moyens de production et ont sous leurs ordres des artisans dépendants et en particulier des apprentis. Alors que le XIIIe siècle est marqué par davantage de réciprocité entre les maîtres et leurs apprentis, ces derniers se retrouvent à mesure que le temps avance dans une situation de dépendance sans cesse plus marquée. À Bologne, les contrats d’apprentissage des XIVe–XVe siècles qui lient un apprenti à un maître imposent le fait que ces contrats durent plusieurs années et affirment l’assujettissement des apprentis au maître.
Pourtant, à l’intérieur de cette hiérarchie qui reflète l’organisation productive du milieu artisanal, la corporation est aussi une institution qui protège. Un artisan dans le besoin trouvera souvent de l’aide. Les pauvres de la corporation seront souvent enterrés aux frais de leurs collègues. À Florence, les corporations offrent même une assistance juridique pour leurs membres, quels qu’ils soient. La corporation peut aussi offrir à ses membres une visibilité et une représentativité : un artisan seul n’ira pas parler au prince, ce que font couramment les représentants d’une corporation. Forts du poids économique et politique qu’ils représentent à eux tous, ils n’hésitent pas à demander au pouvoir politique des aides, des exemptions ou toutes sortes de privilèges.

Lire la suite : Un frein à la liberté d’entreprendre ? / La liberté contre les régulations ?

A lire dans le magazine

Réseaux Sociaux

Suivez-nous sur les réseaux sociaux pour des infos spéciales ou échanger avec les membres de la communauté.

Aidez-nous

Le site Souffrance et Travail est maintenu par l’association DCTH ainsi qu’une équipe bénévole. Vous pouvez nous aider à continuer notre travail.