Maître Paul Bouaziz passe au crible de son immense expérience la façon dont les juges jugent.
Cinq suicides et une tentative de suicide : l’expertise légitime du CHSCT
Ordonnance de référé du TGI de Paris du 5 janvier 2012
Les CHSCT de la Caisse d’épargne Ile-de-France ont, à la suite d’un suicide et de 5 tentatives de suicides de salariés, pris l’initiative de mandater un cabinet d’expertise afin d’être complètement informés sur le lien éventuel entre les conditions de travail et ces passages à l’acte.
L’employeur a contesté ces décisions devant le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Paris en faisant valoir que la désignation de l’expert (le 22 juillet 2011) était caduque aux motifs que la lettre de mission avait été adressée à l’employeur de façon tardive (en septembre 2011) et en second lieu que des expertises avaient déjà eu lieu sur le thème des risques psychosociaux et que donc, une nouvelle expertise était inutile.
Sur le premier point, le juge des référés rappelle qu’il n’existe aucun texte obligeant l’expert à adresser sa lettre de mission dans un délai déterminé et que de surcroît, en l’espèce, le délai n’était pas tardif (22 juillet 2011 – septembre 2011).
L’intérêt essentiel de cette décision est relatif aux prérogatives du CHSCT au regard d’une dégradation de l’état de santé des salariés pouvant aller jusqu’au suicide :
« si le risque est avéré, l’employeur ne peut s’opposer à l’expertise en soutenant que celle-ci est inutile au regard des enquêtes, expertises ou bilans qu’il a lui-même pu faire réaliser, sauf à démontrer qu’il a pris les mesures nécessaires pour mettre fin aux risques constatés
Le CHSCT est en effet en droit de disposer d’une analyse indépendante du risque permettant d’en identifier les causes et d’avancer des solutions quant aux actions à mener pour y remédier »
En l’occurrence, pour constater l’existence d’un risque grave pour la santé mentale des salariés, le juge des référés s’appuie :
– Sur les conclusions d’une étude menée en 2008 par Madame DRIDA, psychosociologue du travail mandatée en qualité d’intervenant en prévention des risques professionnels. Celle-ci avait alors relevé l’existence d’un risque grave en se fondant sur une charge mentale forte (pression commerciale, pauvreté de certaines tâches, insuffisances de moyens ou impasses subjectives et fonctionnelles), sur une autonomie réduite, sur des responsabilités importantes qui n’étaient pas assorties des moyens nécessaires à leur exercice, sur un sentiment d’abandon et de solitude et sur une absence de reconnaissance et de valorisation des efforts fournis.
– Sur deux questionnaires relatifs au climat social réalisés en 2009 et 2011 qui font apparaître une grande insatisfaction des salariés quant à leurs conditions de travail liée notamment à une charge de travail excessive.
– Sur le rapport du médecin du travail pour l’année 2010 qui relève l’existence d’une souffrance des salariés liée à la pression commerciale et à l’ambiance de travail délétère, souffrance qui s’est traduite par la survenance de 5 tentatives de suicides de salariés ne supportant plus la pression commerciale et par des appels à l’aide d’autres salariés ayant évoqué le risque de passage à l’acte
– Sur l’enquête réalisée par le cabinet d’expertise Stimulus mandaté par l’employeur qui relève que les salariés sont exposés à des situations de stress importantes et ont fait part d’un malaise très profond
Relevant que l’employeur n’a apporté aucune solution concrète permettant de mettre un terme à la souffrance des salariés ainsi constatée, le juge des référés déboute l’employeur de sa demande d’annulation de l’expertise.