Coke, weed, Lexomil. Prendre des substances pour tenir au travail

25 novembre 2017 | Stress Travail et Santé

On vous a demandé à quoi vous vous « dopiez » pour faire face à vos conditions de travail, et pourquoi.

« J’étais focusé, plus créatif […] Dans le contexte du travail, j’ai souvent tendance à être réservé. Là, j’avais le courage de partager mes opinions », témoignait un programmateur informatique dans La Presse, lundi. Tous les matins, ce père de famille canadien ajoute un peu de LSD à son bol de céréales. Une microdose qui l’aide, quand il a « des trucs complexes » à gérer au boulot. Comme ce trentenaire, les jeunes entrepreneurs nord-américains – Silicon Valley en tête – seraient de plus en plus friands de ce psychotrope hallucinogène pour booster leurs performances au travail.
En France aussi, un nombre croissant d’employés, cadres ou ouvriers, consomment ou ont augmenté leur consommation de substances psychoactives (alcool, cannabis et médicaments psychotropes en tête) pour « assurer » au bureau.

Tabac, Red Bull et cocaïne

Les psychotropes ? Le spectre est large, la liste interminable. Du licite à l’illicite : caféine, tabac, alcool, anxiolytiques, antidépresseurs, somnifères, anti-asthéniques comme le Guronsan ou le Red Bull, cannabis, amphétamines, cocaïne…
« Il faut se déprendre d’une approche par les substances et s’intéresser aux usages : que font les salariés de ces produits ? Pourquoi les consomment-ils ? », avertit le sociologue Renaud Crespin, coauteur de « Se doper pour travailler ? ».
Réunis en congrès la semaine dernière, des chercheurs plaident pour une nouvelle approche : celle du lien entre cette consommation (voire polyconsommation) massive et l’environnement professionnel. Le recours fréquent à ces « béquilles chimiques » en dirait davantage de nos conditions de travail et des normes managériales qui les régissent, que de l’usager lui-même.

« Fumer mon spliff me fait redescendre de ma journée »

A 46 ans, Matthieu* bosse dans le secteur des énergies renouvelables. Quand on lui téléphone à 8h30, ce responsable commercial vivant dans le sud de la France en est déjà à son quatrième café. Chaque jour, il s’en enfile une dizaine, assortis de deux paquets de cigarettes. Père de deux garçons, il nous parle de son quotidien « très speed » dans la petite entreprise où il est chargé de vendre chauffages et climatisations : « Si on ne fait pas de chiffre d’affaires, l’un de nous peut dégager. Mon salaire s’élève à 750 euros. Après, je grimpe avec les commissions. Pour atteindre 2.500 euros, faut en vendre des clim’ ! J’aurais un fixe à 1.500 euros net, j’me prendrais moins la tête. Tout ça génère un stress important. Le soir, certains s’ouvrent une bière ; moi, je me fume mon ‘spliff’. Ça me fait redescendre de ma journée. » S’il ne consomme jamais le matin, il n’est pas rare que Matthieu se grille aussi un « p’tit bédard » lors de sa pause déj’ ou entre deux rendez-vous, « histoire de rester zen ». « C’est plus sympa d’arriver détendu, avec le sourire, chez les gens. Ça me permet de rester cool et de pas angoisser. » Dans sa boîte, le commercial n’est pas le seul à recourir aux psychotropes pour tenir la cadence. « Avec mes deux collègues, nous fumons ensemble. Eux prennent parfois de la cocaïne. »

« Machine à performer »

Pour la médecin du travail Isabelle Bidegain, il est impératif de sensibiliser les chefs d’entreprise qui s’appuient sur le « management par objectifs ». Elle partage avec nous une anecdote significative. Un jour, un vendeur de voitures, dont la paie est indexée sur d’importantes primes de vente, vient la trouver. Il lui dit qu’il travaille tout le temps, même pendant ses vacances. Qu’il s’est mis sous cocaïne pour être plus efficace, qu’il doit travailler encore et encore, car pour la payer, il doit vendre toujours plus de voitures… Quand elle informe la société de la situation de cet employé – qui a réussi à se soigner –, le manager s’étonne : « Je ne comprends pas, qu’est-ce qui se passe ? C’est mon meilleur vendeur ! »
Pour le chercheur au CNRS Renaud Crespin, tout cela n’a rien d’étonnant : « Se doper renvoie à l’idée de tenir psychiquement et physiquement, et à un mode de concurrence que l’on retrouve beaucoup dans les entreprises qui prennent la compétition sportive et ses valeurs comme modèle. Comme si le travail ne pouvait pas être autre chose que de la simple compétition. » En somme, résume-t-il :
« L’organisation du travail est sous l’emprise d’un certain nombre de principes de management, qui tendent à réduire le salarié à une machine à performer. »
Pas un secteur professionnel n’échappe au phénomène. En France, premier pays consommateur de psychotropes, l’usage de psychotropes toucherait 20 millions d’actifs – en poste ou au chômage –, selon la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca).

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