Malgré les promesses, les socialistes n’ont réformé qu’à la marge, et à la dernière minute, le système de financement de l’hôpital porteur d’effets désastreux sur le personnel et la qualité des soins.
Dernier volet de notre enquête sur la tarification à l’activité.
Le sociologue Frédéric Pierru choisit l’image du « hamster », le professeur André Grimaldi, diabétologue à la Pitié-Salpêtrière à Paris, préfère celle de « l’écureuil » : dans leur cage, les deux courent sans but. De la même manière, parce qu’il est payé à l’activité, l’hôpital poursuit un objectif hors de sa portée, et contre nature : la rentabilité. En 2012, François Hollande s’était pourtant engagé à réformer son financement. Son bilan ne tient qu’à quelques lignes, dans l’article 79 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2017. « Sur ce point, le bilan de Marisol Touraine est nul, parce qu’au fond, les socialistes sont d’accord avec ce système », regrette André Grimaldi.
La tarification à l’activité a hérité d’un sigle barbare, mais passé dans le langage hospitalier courant : la T2A. Qu’ils soient médecins, infirmières, aides soignants, tous vivent au quotidien ses « injonctions contradictoires ». Leurs griefs sont nombreux et sérieux. La T2A contraint les établissements de santé à développer de l’activité dans un budget dédié à l’hôpital toujours plus contraint, donc de sans cesse gagner en productivité, sur le dos de soignants malmenés et épuisés. Elle éprouve l’éthique des médecins en les incitant à industrialiser les soins, à les abréger pour libérer des lits, à penser le développement de leurs services, non pas à partir de besoins médicaux, mais de « business plans » déterminés par le montant des tarifs hospitaliers. Elle privilégie des activités au détriment d’autres, crée des rentes économiques qui entravent les progrès médicaux.
En théorie, le principe de la T2A est assez simple : l’hôpital est payé par l’assurance maladie pour chaque prise en charge d’un malade, en fonction de sa pathologie. En pratique, c’est une usine à gaz. L’administration de la santé a défini des tarifs pour chaque « groupe homogène de malades » (GHM). Il y en a 2 300, déclinés en quatre niveaux de sévérité. Les GHM désignent très précisément une pathologie : il y a un tarif pour une appendicectomie simple, un autre lorsqu’elle est compliquée, un autre lorsqu’elle est pratiquée sur un patient de plus de 70 ans, un autre encore lorsqu’elle est associée à une autre maladie, etc. Dans la vie réelle, cette tuyauterie gestionnaire est truffée d’effets pervers.
La T2A a été mise en place en France en 2004, sur le modèle américain suivi par tous les pays européens. Mais la France est allée le plus loin dans son application, en imposant à ses établissements de santé (à l’exception de la psychiatrie) le « tout T2A » en 2008. Le sociologue Pierre-André Juven a consacré sa thèse aux « coûts et aux tarifs controversés de l’hôpital public ». Il y revient sur sa mise en œuvre, qui procède au départ « d’une volonté, dès les années 1980, d’endiguer l’augmentation des dépenses hospitalières. L’administration a d’abord mis fin au prix de journée, qui incitait les établissements à faire traîner en longueur les hospitalisations ». Elle a opté pour la « dotation globale » : chaque établissement héritait d’une enveloppe budgétaire annuelle avec laquelle il devait composer. « Il y avait de grandes inégalités, car les budgets étaient reconduits d’une année sur l’autre, mais ceux qui avaient leurs entrées au ministère pouvaient négocier des rallonges, explique le sociologue. La T2A était présentée comme un système plus juste. »
Mais en réalité a été mis en place un « quasi-marché, poursuit le sociologue. Ce n’est pas une néo-libéralisation classique, dans le sens du recul de la place de l’État. C’est au contraire une étatisation, mais qui impose au secteur public les principes du marché, à savoir une constante diminution des coûts, une augmentation des marges, et une mise en concurrence des établissements. La T2A a transformé les hôpitaux en entités productivistes, efficientes et compétitives ».
Seulement, la santé n’est pas un marché, en premier lieu parce qu’elle est financée par de l’argent public, forcément limité. Chaque année, les parlementaires votent l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam). Depuis le milieu des années 2000, cet objectif progresse bien moins vite que les besoins de santé, qui ne cessent d’augmenter en raison du progrès technique, des médicaments innovants de plus en plus coûteux, de la progression des maladies chroniques, du vieillissement de la population. En 2017, pour répondre à ces nouveaux besoins, il faudrait augmenter le budget de l’assurance maladie de + 4,3 %. Mais il ne va progresser que de + 2,1 %. Au final, en 2017, l’hôpital doit faire 1,5 milliard d’euros d’économies.
« La contradiction de ces instruments que sont l’Ondam et la T2A est la question des questions, estime Pierre-André Juven. Dans les discours politiques, l’Ondam est là pour sauver la Sécurité sociale. Le respect de l’Ondam est devenu la préoccupation majeure. Mais en même temps, avec la T2A, on dit aux établissements : “Soignez toujours plus !” Donc leurs tarifs baissent sans cesse, c’est infernal. Et au final, l’Ondam est respecté au prix d’un endettement massif des établissements. »
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