Le burn-out, souvent ignoré ou minimisé, est une maladie professionnelle qui affecte profondément les individus et les sociétés. Adrian Chaboche revient sur le parcours d’une de ses patientes, qui a dû apprendre à se reconstruire.
Quand j’ai commencé la médecine, la maladie professionnelle, c’était une liste au fond d’un livre avec l’image du mineur, les poumons malades de la silice ou du charbon, ou bien la manutentionnaire estropiée par une machine sous les ordres du contremaitre… Derrière, il y a une autre réalité, celle des 40 000 morts de la silicose entre 1946 et 1987, mais aussi les femmes, oubliées : il m’a fallu chercher pour trouver une étude montrant qu’entre 1852 et 1857, 11% des amputations de membres étaient dues à des accidents de travail chez les femmes.
On n’imagine pas la maladie professionnelle avec un col blanc, sourire en coin, autour d’un café, t’expliquant qu’on doute de tes performances parce que le diaporama demandé à la dernière minute pour « avant-hier », que tu as fait cette nuit entre 23h30 et 2h après avoir couché tes enfants comporte une faute à la diapo 79. C’est vrai que les usines à l’époque étaient fermées à ces heure-là…
« J’ai des douleurs partout, c’est un petit coup de fatigue »
Alors, le lendemain, arrive devant moi Cynthia. Ce sont ses yeux cernés et son teint gris qui me parlent avant même qu’elle ne me dise : « Docteur, j’ai des douleurs partout, ça peut pas être le sport, j’ai tout arrêté depuis deux mois. J’ai un dossier pour un gros client à rendre, c’est ma faute si je n’y arrive pas. Je ne dors pas, c’est un petit coup de fatigue. Vous ne voudriez pas me donner des vitamines pour que je sois plus performante ? » Son burn-out est sur le point d’exploser.
Je connais déjà sa réponse quand je lui prescris un arrêt : « Non, c’est pas la peine, ça va passer ! » Et je sais qu’elle va revenir dans une semaine. Cinq jours après, elle m’appelle en pleurs : « Docteur, j’en peux plus ».
La première mesure, c’est l’arrêt de travail et la coupure : ni mails, ni SMS. Le premier mois, on traite ses besoins vitaux : dormir à nouveau, mettre son système nerveux au repos, traiter les crises d’angoisses. Elle oubliait son téléphone dans le frigo, ne pouvait plus faire ses courses, ni prendre le métro, parce que sa ligne passe par la station de son travail. C’est ça la réalité du quotidien du burn-out.
Rééduquer les blessures du cerveau, reconstruire l’estime de soi
Après un mois de repli, elle a recommencé à sortir un peu. Sa prise de sang indiquait que son taux de cortisol était presque normal. Commence alors une longue reconstruction avec psychiatre, médecin du travail, kiné, orthophoniste. Ce n’est pas l’antidépresseur qui guérit tout. Rééduquer les blessures du cerveau et reconstruire l’estime de soi nécessitent du temps et de l’écoute. Il faut s’appuyer sur des bilans neuropsychologiques et des tests spécifiques et on travaille en équipe avec le service de pathologie professionnelle.
Il faut parfois affronter des absurdités de la Sécurité sociale : une panne de leur système de télétransmission de sa prolongation d’arrêt, et ses indemnités sont suspendues ! Le médecin-conseil qui refuse de lire mon courrier disant : « Votre médecin n’écrit que ce que vous lui dites. Si vous ne prenez pas d’antidépresseur, c’est que vous n’êtes pas malade ! » Donc c’est au patient de prendre un médicament quand c’est la société qui est malade ?
Il a fallu 18 mois à Cynthia pour retrouver une vie presque normale. Un jour, elle s’est sentie prête à faire une nouvelle formation, et six mois plus tard, elle avait déménagé, et s’était reconvertie dans la maroquinerie. Ça peut faire rêver, en réalité, c’est une reconversion difficile, risquée. Mais c’était sa seule issue pour survivre à cette épreuve…
L’épuisement professionnel coûte à la France 3 milliards d’euros chaque année, mais une vie n’a pas de prix. Le burn-out ce n’est pas l’épuisement d’une personne, mais la maladie professionnelle d’une société qui ne pense qu’à la performance et en oublie le sens de la vie.
Références
- Amputations at the London Hospital 1852-1857
- Elsa Merle, Pourquoi réaliser une évaluation neuropsychologique lorsque l’on est confronté à un épuisement professionnel ?, Souffrance et travail.
Le saviez-vous ? Vous aussi, vous pouvez soutenir l’association Souffrance & Travail fondée par Marie Pezé !
L’équipe Souffrance et Travail est entièrement bénévole : les membres de l’association qui a créé le site, les contributeurs, la rédac chef, et le webmaster. Tous les frais sont à notre charge, même l’hébergement du site, qui est désormais conséquent car nous recevons plus de 30 000 visiteurs par mois.

DCTH, Diffusion des Connaissances sur le Travail Humain, est une association Loi 1901 d’intérêt général. Vous pouvez donc soutenir notre action en envoyant un don, déductible à 66 % de vos impôts (article 200 CGI). Un reçu fiscal vous sera délivré.
