La journée de Rosa, une infirmière comme les autres…

Stress Travail et Santé

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Rosa est infirmière dans un service de Médecine Interne Hématologie Oncologie d’un Centre Hospitalier. Elle a participé à la rédaction d’une lettre adressée au directeur d’établissement pour dénoncer la situation d’une équipe débordée. Mais pour lui donner encore plus de corps, elle a décidé d’y joindre le récit de sa journée de travail. C’est édifiant et passionnant.


Par Denis Garnier, Conseiller social – Débatteur, auteur, conférencier – SAINT-PIERRE-ET-MIQUELON – France


Monsieur le directeur,

« Je prends mon service à 13 h 30.
Ma collègue du matin n’est pas allée déjeuner afin de pouvoir terminer ses soins, faire sa mise à jour et ses transmissions écrites avant mon arrivée. A mon arrivée, il lui reste environ 4 dossiers à parcourir.
Vers 13 h 45 nous commençons les transmissions avec les collègues aides-soignantes (AS). Nous nous installons à l’écart des salles de soins et du bureau infirmier pour espérer être tranquilles pendant ce moment d’échange. Il ne reste plus qu’une aide-soignante dans les couloirs pour répondre aux sonnettes et une secrétaire pour le téléphone, le reste de l’équipe du matin étant parti déjeuner. Par conséquent, à plusieurs reprises nous sommes dérangées par l’AS car les patients sont douloureux, les pompes à perfusion sonnent ainsi que par différents intervenants qui ont besoin d’informations par téléphone.
A 15 heures nous sortons des transmissions, je me dirige alors vers la salle de soins pour « planifier mon après-midi » en sortant les soins que j’ai à réaliser et en commençant à les préparer sur paillasse.
Au programme :

  • Distribution des médicaments pour 14 patients
  • Évaluation de la douleur, surveillance des voies d’abord, surveillance des constantes
  • Antibiothérapie chez 5 patients à 16 h 00
  • Surveillance glycémie + insulinothérapie chez 3 patients avant 18 h 00
  • Poursuite d’une surveillance transfusionnelle chez Mme 108 A ayant fait un OAP (Œdème Aigu du Poumon) 2 jours auparavant pendant une 1ère transfusion
  • 1ère transfusion chez Mme 107 B programmée pour 16 h 00
  • Transfusion d’1 CE (Concentré Érythrocytaire) chez Mme 113 à 16 h 00 qui est en aplasie donc habillage complet obligatoire avant de pénétrer dans la chambre
  • Poursuite de la surveillance de la chimio chez Mme 113
  • 1ère chimiothérapie chez Mme 114 avec surveillance « tensionnelle » toutes les ½ heures sachant que le « Ok pharmacie » a été donné vers 15 h 00 par les médecins
  • Re perfuser Mme 108 B (qui l’a déjà été par mes soins 3 jours auparavant puis arrêt le lendemain) pour hydratation en vue de débuter chimiothérapie le lendemain

Je sors de la salle de soins à 15 h 30 afin de débuter la distribution des médicaments et mes premiers soins de 16 h 00 (Les CE [1] et chimio n’étant pas réceptionnés). C’est alors que l’aide-soignante de mon secteur m’interpelle pour me signaler que la patiente du 113 ne va pas bien : hyperthermie à 39°, dyspnée [2] sous oxygène chez une patiente en cours de chimiothérapie. Je me rends alors dans sa chambre en 1er en ayant pris soin de préparer les soins que je dois lui administrer à 16 h 00 afin d’éviter les allers-retours dans cette chambre (aplasie [3]).
Je découvre Mme 113 effectivement très dyspnéique [4], tachycarde [5], hypertendue et hyperthermique. Je fais immédiatement appeler l’interne, je recouche la patiente, lui fais un ECG [6], augmente l’oxygène, lui fais une prise de sang et divers autres soins. Je suis par conséquent obligée de déranger mes collègues à plusieurs reprises pour que l’on m’apporte le matériel nécessaire à la réalisation de ces soins et m’évite les allers-retours avec habillage et déshabillage complet à chaque fois. Je leur demande par ailleurs d’appeler l’établissement de transfusion sanguine pour mettre en attente la transfusion programmée chez cette patiente à 16 h 00. Les médecins font une demande de scanner en urgence.
Je sors de la chambre 113 à 16 heures. Je fais les transmissions avec le binôme infirmier/aide-soignant qui termine théoriquement à 15 h 30. Cela fait deux heures et demie que je suis présente à mon poste et je n’ai vu qu’une seule patiente ! ! ! ! ! C’est alors que je croise le médecin qui me demande d’instaurer de nouvelles prescriptions chez la patiente du 113. Je prépare donc ces soins et retourne auprès de la patiente pour les lui administrer. Je sens la patiente angoissée par la situation (elle est toujours très dyspnéique), elle est seule dans sa chambre. J’essaie bien évidemment de ne pas lui transmettre mon angoisse et mon stress aux vues de la situation et de tout le travail qu’il me reste. Je reste à ses côtés quelques instants pour dialoguer et ainsi la rassurer. Ma collègue du binôme IDE-AS de l’équipe du matin, décide de rester et de me perfuser la patiente du 108 B. Elle fera une heure supplémentaire. L’aide-soignante me fait un bilan des températures et diurèses[7] de notre secteur.
Je me lance enfin dans la distribution des traitements à 16 h 30. Une autre collègue, qui est théoriquement en consultation post-annonce, monte dans le service et décide de me poser la transfusion chez Mme 107 B (je rappelle que la patiente ne l’a jamais été auparavant) et de débuter la chimiothérapie chez Mme 114 (qui elle également n’a jamais reçu ce produit). Pendant ce temps, je poursuis mes soins et découvre Mme 108 A qui a terminé sa transfusion : Elle n’a fait l’objet d’aucune surveillance « tensionnelle » depuis 12 h 30 alors que cette patiente a fait un OAP [8] 2 jours auparavant pendant une transfusion. J’ai maintenant vu 5 patients sur 15 (puisque le binôme du matin est parti). C’est alors que l’onco-psychologue m’interpelle, elle souhaite avoir des nouvelles du patient du 112 A qu’elle suit régulièrement.
Je lui fais remarquer qu’il est 17 h 00 ; que je ne l’ai toujours pas vu ; que je reviens de repos ; que je ne l’ai pas vu depuis 2 jours. Mais je prends tout de même 10 minutes pour lui faire part des transmissions de ma collègue du matin. Puis, c’est au tour de la cadre qui veut me voir pour mes horaires des jours suivants. Et enfin retour de l’interne et du médecin qui m’informent que Mme 113 aura son scanner demain et donc qu’il faut la transfuser cet après-midi (je rappelle que la patiente est en OAP). Je les informe que j’accepte seulement si un médecin reste dans l’unité jusqu’à au moins 19 h 00, car la transfusion ne pourra être posée qu’à 17 h 45 au mieux, si ma collègue de 10 h/18 h se détache pour aller la chercher directement à l’établissement de transfusion sanguine. Ces derniers acceptent.
La transfusion sera posée à 17 h 45 par ma collègue. Entre temps, l’infirmière de consultation m’informe qu’elle quitte le service : j’ai donc 10 patients à voir, 2 transfusions et une chimiothérapie pour lesquelles je dois effectuer des surveillances « tensionnelles » toutes les ½ heures et une patiente en O.A.P. Je poursuis mes soins.


A 22 h 45 je rentre enfin chez moi sans même avoir bu un verre d’eau, ni manger quoi que ce soit, ni être allée aux toilettes. J’ai bien sûr pris soin de laisser tout ceci au vestiaire pour ne pas « parasiter » ma vie familiale !

Lire l’intégralité du texte sur https://blogs.mediapart.fr
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Notes :
[1] CE : Concentré Erythrocytaire
[2] Dyspnée : difficulté respiratoire
[3] Aplasie : cancer de la moelle
[4] Dyspnéique : difficulté respiratoire grave
[5] Tachycarde : palpitations
[6] ECG : électro cardiogramme
[7] Diurèse : mesure les urines
[8] OAP : œdème aigue du poumon. Insuffisance cardiaque gauche

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