Les cadres ont le blues. Cela n’est pas vraiment nouveau, le propos ressemble un peu au marronnier sur « le silence des intellectuels ». Ce qui est peut-être inédit, c’est l’ampleur du malaise qui justifie toute une littérature, c’est le cas de le dire.
Selon l’imagerie traditionnelle de l’entreprise, le cadre est lié au patron par une sorte de contrat, en partie implicite : il est convenablement rétribué, jouit d’un poste valorisant et d’un bon plan de carrière en échange d’une loyauté complète. Le cadre est là, notamment, pour communiquer sur l’orientation et les valeurs du patron. Or ces éléments tendraient à s’effriter.
Bien payés, les cadres ? C’est de moins en moins vrai. Une note du Ministère de l’emploi (de septembre 2013) indiquait que l’encadrement était la catégorie dont les revenus avaient le moins augmenté ces dernières années. Et un sondage de l’Ugict Cgt/Viavoice de mai 2014, intitulé « Opinions et attentes des cadres et techniciens », réalisé à l’occasion du 17e congrès de cette organisation, pointait «une importante attente en matière de reconnaissance salariale.»
La même enquête parlait « de niveau de reconnaissance professionnelle qui se dégrade », «de contexte d’avenir atone», «d’évolution professionnelle qui stagne», «de management qui nie leur rôle contributif», «de temps de travail de plus en plus difficile à maîtriser».
Bref, les plans de carrière assurés semblent de plus en plus aléatoires, l’aggravation des charges de travail est réelle et les rapports patrons-cadres ne sont plus ce qu’ils étaient. On a même vu fleurir des formes de management où le patron jouerait la base contre la hiérarchie. Le modèle dit de «l’entreprise libérée», théorisé aux États-Unis, propose ainsi, au nom de la «déhierarchisation», de supprimer les postes de managers pour mettre en place des équipes auto-organisées. «Le système tayloriste toucherait-il à sa fin ? demande Margherita Nasi dans Le Monde du 28 mai dernier. La crise semble, en tout cas, avoir joué en faveur d’une responsabilisation des collaborateurs et d’une déstructuration de la bureaucratie hiérarchique.» On appelle cette méthode le «management en pyramide inversée». Le directeur des ressources humaines d’Auchan peut dire : «En période de crise, ce sont ceux qui sont le plus près du terrain qui comprennent le mieux les besoins des clients et qui peuvent y répondre.» Dans ce modèle, on dirait adieu aux grandes concentrations, et vive les mini-usines ! Adieu la hiérarchie, vive les plates-formes collaboratives. Au diable les salles de réunion. Le cadre, hier glorifié, se verrait reproché d’être un bureaucrate attaché à ses rituels, le reporting (la communication de données) notamment) et vivant trop loin du terrain. À y regarder de près, cette «théorie» ressemble beaucoup à du dégraissage de cadres sans le dire.
Autre idée en vogue : serait moderne le cadre friand d’aventures et qui s’expatrierait volontiers, de préférence aux États-Unis, côte Ouest. Cette mythologie libérale, très entretenue par Nicolas Sarkozy, a été reprise sans vergogne par François Hollande, et notamment par sa ministre Fleur Pellerin. Pourtant, lorsqu’on interroge les cadres (Enquête Viavoice/HEC/Figaro du 2 juin 2014) sur leur entreprise préférée, ce sont EDF et la SNCF qui arrivent en tête… et ce sont «les groupes publics qui sont jugés les plus attractifs». «Les cadres font le choix de la stabilité en cette période de perspectives économiques moroses. Ils privilégient des entreprises qui investissent sur le long terme» dit François Miquet-Marty, de Viavoice. «La réputation de ces entreprises de bien traiter leurs collaborateurs est un formidable atout» doit ajouter Le Figaro.
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