Management totalitaire – « La logique de rentabilité financière a tué l’engagement en entreprise »

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Après 5 ans d’enquête, la journaliste Violaine des Courières publie « Le Management totalitaire », un ouvrage consacré aux méthodes abusives des grandes entreprises pour rationaliser leur management et rendre leurs salariés plus efficaces. Entretien.

Espionnage des employés, forte incitation à faire du sport et à bien dormir pour être plus productif au travail, organisation de team building à la limite de la dérive sectaire ou classement des salariés d’une même équipe en vue de licencier les moins performants…

Depuis quelques années, certains grands groupes multiplieraient les stratagèmes pour rendre les salariés plus efficaces ou légitimer des plans de départs volontaires, destinés à rendre leur organisation plus rentable.

La journaliste Violaine des Courières a recueilli des dizaines de témoignages d’employés, de RH et de grands patrons dans son livre Le Management totalitaire. Selon elle, le management du XXIème siècle serait devenu oppressif.

Votre livre, Le management totalitaire, décrit les méthodes des directions de grandes entreprises pour améliorer la performance des salariés, donc devenir plus rentables. Pourquoi les qualifier de « totalitaires » ?

Pour montrer la banalité du mal. J’ai réalisé au terme de cinq ans d’enquête qu’avec ces méthodes de management, les salariés n’avaient plus d’espaces de pensées propres, que ce soit le directeur des ressources humaines, le PDG ou le simple manager.

Tous se retrouvent pris dans une course à la rentabilité financière, ce qui réduit leurs marges d’action et la possibilité pour les dirigeants d’avoir une vision. Je cite par exemple le PDG d’une entreprise de 8000 salariés qui me confie que, chaque jour, certains fonds d’investissements l’appellent pour lui demander où en est son « plan d’action ».

L’entreprise est devenue un produit financier comme un autre et cette pression de la performance mène à un turn over toujours plus important.

On n’attend plus des salariés qu’ils aient un bon diplôme, mais une aptitude au changement. Qu’ils résistent bien à une pression insoutenable.

Ce management est devenu totalitaire au sens d’Hannah Arendt, qui écrivait, au procès d’Eichmann, que ce dernier n’était qu’un homme ordinaire, qui avait délégué sa pensée à l’idéologie nazie. Aujourd’hui, en entreprise, on délègue sa pensée à l’idéologie de la performance.

« La pression financière accrue rend le travail proche de la compétition sportive. »

Comment se traduit cette idéologie de la performance ?

De plusieurs manières. En France, nous attendons encore beaucoup des salariés qu’ils soient loyaux vis-à-vis de l’entreprise. Cela fonctionne quand vous êtes employé depuis plusieurs années, que l’on vous a formé et que votre employeur s’engage à ne pas vous lâcher. Sauf que maintenant, cette loyauté est devenue unilatérale et un salarié peut être évincé à la moindre occasion.

Chez Engie, on demande même aux salariés d’être des ambassadeurs de l’entreprise et de n’en dire que du bien. Leur usage des réseaux sociaux doit être au service de leur travail. Une captation de la vie privée par l’entreprise s’opère, et prive le travailleur d’une forme de libre arbitre.

Parallèlement, la moindre pause est mal vue par les managers. Certaines entreprises instaurent d’ailleurs des systèmes de surveillance qui nient les limites biologiques des personnes.

Le télétravail est quant à lui devenu pour certains un outil pour espionner les salariés. Pour paraphraser un dirigeant qui témoigne dans mon livre, la pression financière accrue rend le travail proche de la compétition sportive. C’est pour cela que certaines structures incitent leurs équipes à faire plus de sport.

L’enjeu pour ces entreprises est donc d’inciter fortement les salariés à modifier leur vie privée, pour devenir plus rentables au niveau professionnel.

Une étude du MEDEF a fait des estimations sur le sujet : la rentabilité des salariés augmenterait de 6 à 9 % s’ils ont une activité physique régulière. L’enjeu pour ces entreprises est donc d’inciter fortement les salariés à modifier leur vie privée, pour devenir plus rentables au niveau professionnel. Le quotidien tout entier doit être orienté vers la « bonne productivité ».

Les organisations misent d’ailleurs là-dessus pour éviter les burn-out, parce qu’elles savent qu’elles mettent trop la pression mais ne veulent pas remettre en question leurs méthodes de travail.

Vous montrez d’ailleurs que les entreprises fixent à leurs salariés des objectifs inatteignables pour mieux se protéger aux prud’hommes, si ces derniers venaient à les poursuivre pour licenciement abusif.

L’employeur pourra même prouver qu’il a mis en place des formations pour « aider son collaborateur » ! Sauf qu’en réalité, les entreprises notent les salariés et établissent par avance des quotas d’individus « sous-performants », indépendamment de leurs compétences réelles.

Par exemple, sur une équipe de 10 personnes, 7 devront être jugées « sous-performantes », 1 sera jugée « correcte » et 2 seront qualifiées de « hauts potentiels ». Tant pis si toutes font bien leur travail, 7 d’entre elles seront licenciées.

En fait, les compétences sont devenues obsolètes et les employés le savent. Ils se font évincer la plupart du temps pour des raisons comptables : réduire la masse salariale permet de faire gonfler le taux de profit, et de rapporter plus d’argent aux actionnaires.

« La genèse de toutes ces dérives demeure le management par le chiffre. »

Lire la suite de l’entretien sur le site www.welcometothejungle.com


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