« Pensées suicidaires et tentatives de suicide au cours des 12 derniers mois chez les personnes en activité professionnelle en France métropolitaine entre 2010 et 2021 : résultats du Baromètre santé »
Quand le travail fragilise : un éclairage psychodynamique du travail sur les résultats du baromètre Santé publique France
Les données du baromètre de Santé publique France sur les pensées suicidaires et tentatives de suicide chez les actifs occupés (2010-2021) soulèvent des questions cruciales sur l’impact du travail et des conditions sociales sur la santé mentale. Les résultats sont alarmants : une augmentation des pensées suicidaires chez les jeunes actifs (18-24 ans), des risques amplifiés pour ceux confrontés à des précarités financières ou sociales, et une prévalence marquée dans des secteurs comme l’hébergement et la restauration.
Un travail qui devrait être un lieu d’accomplissement devient celui du désespoir.
Le travail, lieu d’épanouissement ou de souffrance ?
La psychodynamique du travail, à travers les travaux de Christophe Dejours, nous enseigne que le travail est bien plus qu’un moyen de subsistance. Il engage le corps, l’esprit, et l’identité. C’est un lieu où se construit le sentiment de compétence et de reconnaissance. Mais lorsque les conditions de travail sont dégradées ou qu’elles exposent à un déni de reconnaissance, elles deviennent des sources majeures de souffrance. Les pensées suicidaires attribuées à des causes professionnelles (40%) traduisent cette tension : un travail qui devrait être un lieu d’accomplissement devient celui du désespoir.
La montée des risques chez les jeunes : quel sens au travail ?
L’augmentation significative des pensées suicidaires chez les 18-24 ans (+3,7 points entre 2020 et 2021) interroge profondément. Ces jeunes actifs sont confrontés à une double pression : celle de s’insérer dans un marché du travail instable et celle d’y trouver une reconnaissance rapide. Dans un contexte où la pandémie a amplifié l’isolement, la perte de repères sociaux et la précarité, les formes de souffrance perçues s’intensifient. Les théories de Dejours sur la « dynamique défensive » aident à comprendre comment ces jeunes peuvent développer des stratégies pour se protéger – mais à quel prix ? Un retrait affectif, voire une désillusion face au travail, qui nourrit des pensées sombres.
Secteurs à risque : hébergement et restauration, au cœur de la tourmente
Le secteur de l’hébergement et de la restauration, systématiquement pointé du doigt, illustre le lien entre conditions de travail et santé mentale. Ces métiers, souvent marqués par une faible autonomie, une pression temporelle élevée et une reconnaissance limitée, constituent un terreau fertile pour la souffrance éthique – cette tension entre ce que l’on voudrait bien faire et ce que l’organisation permet réellement.
Reconnaître, prévenir, agir
Ces résultats appellent à une réflexion urgente sur les leviers d’action. La reconnaissance au travail, telle que décrite par Dejours, n’est pas un luxe mais une nécessité. Investir dans des espaces de discussion collectifs pour parler du travail, prévenir les mécanismes d’épuisement et réintroduire du sens devient essentiel.
Le travail peut être un lieu de réalisation de soi, mais pour cela, les conditions qui le rendent « psychiquement soutenable » doivent être garanties. En s’appuyant sur la psychodynamique, les employeurs, les décideurs et les acteurs de la prévention peuvent jouer un rôle clé pour transformer le travail en vecteur de santé et non de souffrance.
