En 2010, près de 22% des salariés estimaient être victimes de comportements hostiles sur leur lieu de travail, selon la Dares. Un harcèlement moral qui touche principalement les femmes et les jeunes. Oumar a rencontré deux étudiants en alternance pour qui la première expérience était loin des espérances.
Comment tuer son boss ? Cette question ne traverse pas uniquement l’esprit de scénaristes hollywoodiens à en croire les 22 % de salariés se déclarant victimes de harcèlement moral au travail en 2012 selon une enquête réalisée par la Dares. Ce harcèlement moral au travail regroupe de nombreux cas de violence : « Propos désobligeants, humiliations ou brimades, insultes, critiques injustifiées, mises au placard ». L’alternance est une nouvelle forme de salariat proposée dans certaines écoles. Elle permet à des étudiants, qui le souhaitent, de suivre des cours théoriques en classe tout en se familiarisant au monde professionnel. L’entreprise est gagnante, car un alternant est moins rémunéré qu’un diplômé travaillant à temps complet. En fonction de son âge et de sa formation, l’étudiant touche un certain pourcentage du Smic (jusqu’à 25% en première année pour les moins de 18 ans, et 53% pour les + de 21 ans). Les alternants sont formés par un « tuteur » et occupent un poste en Cdd, pouvant se transformer en Cdi à la fin des études. Cependant, il arrive parfois que ce statut original « d’étudiant salarié » donne lieu à des abus de pouvoir.
Habiatou* est entrée directement en 2e année d’une école qui prépare au diplôme de Comptabilité et de gestion (DCG) en alternance après 2 ans de BTS. Elle a intégré une entreprise dans le secteur médiatique. Elle se souvient de l’espoir qui l’habitait lors de son intégration dans l’entreprise : « Les premiers jours, mes coéquipiers m’ont raconté l’histoire de l’entreprise, m’ont fait visiter le siège et rencontrer l’ensemble des 70 salariés. » La jeune femme vante l’aspect cosmopolite de son nouveau lieu de travail « les gens venaient de partout, il y avait autant d’hommes que de femmes, autant de personnes issues de l’immigration que de français “pure souche”, des homosexuels s’assumant totalement… ».
Les choses ne se sont pas passées de la même manière pour Thomas*, en première année de la même licence. Il intègre un cabinet d’expertise comptable en septembre 2014. Dès le départ son rêve s’assombrit ; sa tutrice, ne désirant pas d’apprenti, le confie à une secrétaire qui ne possédait pas le diplôme qu’il convoitait. La tutrice est rappelée à l’ordre et le prend enfin sous son aile, sans réel plaisir.
« Il faut toujours vous reprendre, vous ne faites rien comme il faut »
Le jeune homme tente d’effectuer le travail demandé, mais sa tutrice censée le former ne lui apprend rien et lui reproche chaque erreur : « Il faut toujours vous reprendre, vous ne faites rien comme il faut » lui répète-t-elle continuellement. « Elle se plaignait de moi auprès des autres qui me voyaient comme le bébé bachelier un peu débile » déplore-t-il.
Après des débuts prometteurs, Habiatou essuie les premières critiques. Trois semaines après son intégration dans l’entreprise elle se fait convoquer par son tuteur à 20h00 alors que sa journée de travail se termine à 17h00 officiellement. Les heures supplémentaires non payées ne sont qu’une formalité dans cette entreprise, la jeune femme s’y est habituée. « Habiatou, si tu ne passes pas la 2e voire la 3e vitesse ça ne va pas aller. On a l’impression que tu n’es pas motivée, moi je crois en toi, mais tu dois prouver ta motivation à tes collègues » lui explique son tuteur.
Ces « collègues » sont sans cesse présents afin de prendre la défense de cet homme trop exigeant, trop alcoolisé. « Ils buvaient tous ensemble, pendant le travail, en face de moi ». Dans les armoires de son bureau, deux ou trois bouteilles qui se vidaient à une vitesse affolante. « Mon tuteur arrivait en retard, faisait son travail à la dernière minute et me demandait de finir ses dossiers chez moi » explique la jeune femme exténuée par son travail d’alternante qui ne lui laisse peu de temps pour réviser ses cours.
Thomas subissait également les remarques désobligeantes de ses coéquipiers confondant cabinet d’expertise comptable et cours de récréation : « regarde-le, c’est un bébé » pouvait-il entendre siffler à son oreille. Il passait ses journées sans qu’on lui adresse la parole. Sa tutrice avait fait de lui un alternant mal dans sa peau.
…
*prénoms modifiés
Lire la suite sur le BondyBlog de Libération