Travail : quand il faut mentir pour réussir

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Dans « Mentir au travail », un psychologue clinicien décrit comment l’injonction de performance amène les salariés à tromper le client et à se trahir eux-mêmes.
PROPOS RECUEILLIS PAR ALIX RATOUIS

Mentir au travailDevoir duper le client tout en le servant : une prescription inédite à l’origine d’une forme de souffrance au travail elle aussi inédite, la souffrance éthique. Dans Mentir au travail (PUF), Duarte Rolo, psychologue clinicien, maître de conférences à l’université Paris-Descartes, a mené une enquête édifiante au cœur des centres d’appels téléphoniques. Il analyse ces nouvelles pratiques de management et d’organisation du travail qui, si on ne les interroge pas, pourraient nous mener tout droit vers un nouveau « Meilleur des mondes ».
Le Point : Qu’est-ce que la souffrance éthique ?
Duarte Rolo : C’est l’expérience de la trahison de soi. Cette souffrance apparaît lorsqu’on est amené à adopter des pratiques de travail avec lesquelles on n’est pas d’accord et qui vont à l’encontre de ses valeurs. On a alors l’impression d’être en porte-à-faux vis-à-vis de soi-même et d’une éthique professionnelle. La particularité de cette souffrance, c’est que le travailleur est victime de sa propre conduite : il souffre de ce qu’il fait lui-même. La souffrance éthique fonctionne toujours comme un aveu de participation, un aveu de culpabilité, elle apparaît au moment où l’on accepte de faire ce que l’on pense qu’on n’aurait pas dû accepter, même si on y a été poussé par la hiérarchie, l’organisation du travail, la peur du chômage… C’est cela qui fait que cette souffrance est tellement dévastatrice, on est allé trop loin, on a mis un pied dans la porte, et on est soi-même en train de contribuer à une dégradation de son rapport au travail. Elle peut mener au suicide.
Les centres d’appels téléphoniques semblent être le terreau privilégié de cette souffrance. Pour quelles raisons ?
À l’origine, l’activité des centres d’appels téléphoniques était orientée vers l’assistance au client. Aujourd’hui, elle est de plus en plus centrée sur la vente et le profit. Quand on appelle pour un dépannage ou une réclamation, on se voit proposer un nouvel abonnement, une assurance supplémentaire, un autre téléphone… Situés au départ au bout de la chaîne de l’activité des entreprises, les centres de relations clients sont désormais au cœur de leur action. La finalité commerciale prime la prise en compte pertinente de la demande du client. Dans le cadre d’une relation de service, où le cœur du métier a affaire avec le souci de l’autre, cette opposition est vécue par certains téléconseillers comme une atteinte à la conscience professionnelle.
Aujourd’hui, les outils informatiques renforcent les pratiques d’évaluation du travail, le couplage téléphone-ordinateur permet d’enregistrer quasi en temps réel une série d’indicateurs. L’acte de travail est précisément mesuré, point par point. Cet usage permanent d’indicateurs conduit à indexer la qualité du travail à la performance commerciale et à individualiser les formes de rémunération du salarié, soumis à des contrats d’objectifs liés à des primes. Les indicateurs de performance régissent donc l’activité quotidienne et orientent en grande partie la relation avec le client, qui change de nature. Car ces injonctions incessantes à la vente conduisent les agents à faire des entorses aux règles du métier.
Des entorses qui mèneraient à la pratique du mensonge ?
Pour satisfaire les objectifs décidés par l’organisation du travail, les téléopérateurs ne peuvent pas ne pas mentir, la pression des contrats d’objectifs, très forte, les y pousse. Ils vont donc omettre des informations au client pour faciliter la vente, par exemple qu’un branchement sera payant, forcer le placement de produits ou de services dont ils savent à l’avance qu’ils n’auront aucune utilité pour le client, se faire passer pour le responsable en maquillant leur voix quand un client exige de parler à un supérieur afin d’écourter l’échange téléphonique pour pouvoir prendre un nouvel appel… Mentir devient intégralement partie de la tâche, mais l’ordre reste implicite.

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