[Procès France Télécom] Jour 11 – Affecté

Suicide Au Travail

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L’audience du 23 mai 2019 du procès France Télécom, vue par Stéphane Bérard, artiste français qui développe une œuvre polymorphe où l’invention est un mode d’intervention critique. Il a réalisé à ce jour sept longs métrages, sept albums musicaux, cinq livres, une multitude de performances, de collaborations ainsi qu’une dizaine d’expositions personnelles. Et désormais un article pour la petite Boite A Outils.

Avant propos.

Des milliers de personnes parties en détresses, en vrilles, en dépressions aéronautique terme, d’autres encore à peine plus loin, au suicide dans les nuages, soixante. Quand le tribunal n’en a reconnu que vingt-quatre, – la juridiction compétente n’étant qu’une instance indicative, nous préférons parler des soixante personnes qui ne sont plus.

Avertissement à la lectrice, avertissement au lecteur.

Cette poésie n’aurait jamais été, si comme au milieu des années quatre-vingt le pays abritait encore en son temps révolu, femmes et hommes dévolus qui résolus à tel accroc au contrat, telle incise délicate, infléchissaient tel alinéa en faveur de l’homo-salarius.

Le corps même de la petite dizaine de dirigeants eut été traité. Mais aux années quatre-vingt-dix tous avaient disparus à la vue quand seuls des tracts de soutien ou un livre eut cette vertu de Salut Public. Cette poésie n’aurait pas été, et des milliers de personnes épargnées c’est le cas de le dire, soixante aimeraient encore, iraient, je ne sais pas, attendre un bus, relacer leur basket blanche, sentir le vent agiter des feuilles, dire bonjour, dire bonsoir, attendre l’être aimé.e à la gare RER de Saint Denis ou du réseau ferré de France, sous le soleil ou sous une bruine, – ce soleil ayant pour prénom Vanessa* ? Quant à la robe, elle pourrait dire: «  je n’ai pas mis celle à fleurs vertes aujourd’hui, mais cette autre que tu connais aussi pour l’avoir, entre autres, refermée, derrière, avec la fine fermeture éclaire et le bouton en haut ». Vingt deux personnes liraient un livre de Samuel Butler ou de Eric Vuillard trente trois liraient « Comment nous vivons, comment nous pourrions vivre » de William Morris ou plus biscornu et plein de coquilles, cinq « Walden ou la vie dans les bois ». Et puis le soir juste avant de prononcer un « bonne nuit mon amour » ou « lis encore un peu, ne t’inquiète pas, j’éteins de mon côté », soixante auraient repensés à ce qu’ils, elles avaient perçu de reflets du soleil sur les bords du canal St Martin se muer comme fumée projetée fugace à un arbre, étroit écran improvisé, en contre-plongée un matin du mois de mai 2019, auraient de loin perçu un chat faire un saut raté, deux chauves-souris au printemps de chaque année depuis 2005 virevolter n’importe comment sans plan de management, deux ou dix moucherons dériver en l’air lent d’une cuisine à la campagne puis deux saisis de syncope entamer un vol dingue n’ayant autre signification que la joie du vol en formation – mini-patrouille de France ?

Caresser, passer une main dans les cheveux de celle que l’on aime, y humer un parfum sien, lui manquer – un peu seulement car on la retrouve d’ici une heure, ou pire une quarantaine d’heures ce drame. Non, même pas en rêve. Rien, ces soixante personnes ne sont plus que le prénom et le nom qui agite notre langue si on les prononce à voix haute.

Rien, sinon un vague échange moléculaire sous terre d’asticots corporates construisant une forte synergie faite de tissus et des muqueuses de cadres, de fonctionnaires, en bench-marketing, mobiles tools capables d’afficher en temps irréel le flux des users stories en parfait free access, juste le temps de la décomposition d’opérer, quand pour l’éternité des astres, plus à même de rediriger les âmes modernes vers autre part, cette poésie n’aurait eut lieue.

Au tribunal donc aux bans de la société, à quatre places, les seuls à n’être pas de blanc mélaminé comme ceux du public chéri ce palais de Justice est un grand blanc qui avale et digère ses rebuts de patrons, ses victimes dérivant au grès des flux et des bateaux échoués à peine indiqués comme chez Ikea où pour descendre il n’y a même plus de budget pour un escalator, le ventre ne veut vous rendre, une fois happé, dégluti avec force machouillement. On doit rejoindre de petits ascenseurs.

Le box des accusés, n’est à ce procès pas retenu, personne n’y a sa place, quand pourtant tous y aurait droit, en premier Louis-Pierre Wenes, en second couteau Didier Lombard, Brigitte Dumont, Olivier Barberot et leurs trois complices. Des écrans plats et des micros fins distribuent respectueusement un ordre bourgeois, très soucieux de lui, à ce remord de bois quand tout dehors s’affiche au plus bête des façades de verre, avant l’audience on perçoit juste une soufflerie comme dans les hôpitaux. Parties civiles, presse, les bancs du public sont durs comme la Justice. On devrait pouvoir a minima revendiquer les mêmes assises pour les cours que celles dévolues aux magistrat.e.s.

Jamais le logo qui court partout aux murs crayonné à la va-vite, sur les écrans stupides, jamais le trait frêle faisant blason ne fut si bien illustré, car il y a équité, équilibre d’un côté des représentants et/ou des victimes de l’autre, des oppresseurs, des tortionnaires. Les deux sont respectés, les deux sont entendus comme parties, dont la Justice va devoir soupeser, mais le résultat est un traitement égal. 5 minutes pour les victimes, 5 minutes pour les bourreaux. On notera que Louis-Pierre Wenes est bien habillé, bien coiffé mais tous se souviennent peu de réunions, par exemple monsieur Cochet envoie des mail avec deux années de retard ou Olivier Barberot essai d’expliquer que la vision des médecins du travail est biaisée du fait qu’ils ne voient que les personnes en mauvaise santé. Bref d’ACT opportunités on apprendra que deux sur vingt deux mille s’en sortent pas si mal, c’est plutôt cool, ils sont partis, reconvertis en DRH qu’ils étaient mais encore ailleurs LoL. La question si question il y a pourrait être celle-ci: est-ce que la Justice ne viendrait pas sauver l’entreprise en y tançant un peu les sept nuisibles, qui bêtement eux plutôt que d’agréer en ce sens se défendent d’un environnement. Sept têtes à découper à l’album, et le monde de l’employabilité en sera purgé, lavé, sauvé. Sinon c’est tout l’environnement, comme le pensent les sept, qu’il va falloir revoir.

Et maintenant passons au poème, en vue subjective.

Affecté

À un « placard »

Affecté

A un endroit

Affecté

Où l’on ne produit rien

Affecté

Là où l’on isole

Affecté

On ne vous fait plus correspondre au monde

Affecté

On ne vous fait plus la confiance

Affecté

D’une fonction ayant une composante de relation client

Affecté

A cette langue de merde

Affecté

A cette langue de merde, pardon

Affecté

Par cette langue de sous-merde

Affecté

Car la merde est fertile, elle, source de vie

Micro-orgas, joies multiples des asticotages, joies des radicelles, joies des rencontres à faire

Joies des devenirs,

Affecté

Par Busine,

Affecté

Par Dereudre,

Affecté

Par le manajère de merde

Affecté

Pardon par le manajère qui est parlé en sous-merda

Affecté

Pour perdre si possible sa statue d’homme debout

Affecté

Pour ne pas être un projectile impactant

Affecté

Le plus possible en gagnant moins

Affecté

Le plus possible au dégradé

Affecté

A se disqualifier

Affecté

A devoir consulter

Affecté

Parce que s’indiquant

Affecté

Comme angoissé

Affecté

Parce que l’objectif global et par tous les moyens. : les cadres et les fonctionnaires.

Affecté

Parce qu’

Affecté

Quand pour soixante personnes ce fut une période décès.

* le prénom n’a pas été changé
Via le site http://la-petite-boite-a-outils.org

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