La tarification à l’activité est-elle à l’origine de la maltraitance en milieu hospitalier ?
C’est la question, hautement sensible, sur laquelle la Commission nationale consultative des droits de l’homme (la CNCDH) a pris parti, par un avis du 22 mai 2018 rendu en Assemblée Plénière sous le titre « Agir contre les maltraitances dans le système de santé : une nécessité pour respecter les droits fondamentaux » (publié au Journal Officiel du 3 juin 2018 : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000036977193&categorieLien=id).
Par cet avis, la Commission (qui est chargée, par une loi n° 2007-292 du 5 mars 2007, de « conseiller le Gouvernement dans le domaine des droits de l’homme« ), « salue la qualité du système de santé français et le dévouement des nombreux soignants qui en sont la clé de voûte« , mais tout en « insistant sur la nécessité de considérer les maltraitances comme un problème global« .
Après avoir rappelé que la maltraitance, selon le Conseil de l’Europe, est « un acte ou une omission commis par une personne, s’il porte atteinte à la vie, à l’intégrité corporelle ou psychique ou à la liberté d’une autre personne ou compromet gravement le développement de sa personnalité et/ou nuit à sa sécurité financière« , la Commission expose, dans son avis du 22 mai 2018, le panorama élargi des causes de maltraitance en milieu hospitalier, et en particulier celles qui sont répercutées sur les patients par un personnel lui-même soumis à de lourdes contraintes, des « cadences de travail de plus en plus élevées« , « le manque de lits et de personnels« , « la surmédicalisation ou des actes médicaux prodigués à la hâte pour des raisons de surcharge de travail« , « une hiérarchie pesante et une compétition permanente« , « une organisation productiviste« , etc.
A cette situation, qui place les soignants « en grande souffrance et en quête d’une pratique plus humaine« , la CNCDH impute la causalité essentielle d’une maltraitance institutionnelle (refus d’accès aux soins ou mauvais accès aux soins) qui, en retour, provoque la souffrance et les réactions de violence des populations, renvoyant à l’hôpital une image délétère dont les agents hospitaliers et les soignants sont les premières victimes.
Rendu le 22 mai 2018, cet avis se faisait sur ce point, l’écho d’une actualité qui a fait les gros titres de la presse, celle de la grève de la faim des agents de l’hôpital psychiatrique du Rouvray, qui dénonçaient justement ce lien entre le manque de moyens matériels et humains, et la maltraitance des patients (« On bourre nos patients de médicaments, on sert le repas et basta » : http://www.liberation.fr/france/2018/06/07/on-bourre-nos-patients-de-medicaments-on-sert-le-repas-et-basta_1657488). Le mouvement social n’a d’ailleurs trouvé d’issue, après plusieurs hospitalisations d’urgence de grévistes de la faim épuisés, qu’après que l’ARS de Normandie n’accepte de mettre en place un plan de création de trente postes dans l’établissement, un chiffre qui témoigne à lui-seul de la gravité du sous-effectif existant jusqu’alors (https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/hopital-psychiatrique-du-rouvray-pres-de-rouen-un-accord-trouve-la-greve-de-la-faim-terminee-1528464634).
Pour la CNCDH, la recherche de rationalité économique s’est faite, depuis la loi ayant institué en 2004 la tarification à l’activité, au détriment de l’impératif de respect des droits des personnes. Par son avis du 22 mai 2018, elle formule 32 recommandations dont la première propose l’abandon pur et simple de la T2A : « aligner chaque année le plafond de l’ONDAM (l’objectif national de dépenses d’assurance maladie) sur les précisions de croissance « naturelle » des dépenses de santé (environ 4 %) et d’abandonner le principe de « tarification à l’activité » qui favorise paradoxalement la concurrence entre les établissements et l’accroissement des dépenses« .
Ce n’est pas le seul appel à la réforme de la tarification à l’activité, à laquelle les soignants imputent, depuis 15 ans de mise en place, une forte dégradation de l’état du système de santé et en particulier, le comportement paradoxal consistant, pour les établissements qui doivent maintenir leur équilibre budgétaire, à « augmenter sans cesse leur activité tout en réduisant le nombre de leurs personnels » (« Ils sont mille à alerter sur la crise de l’hôpital » : http://www.liberation.fr/france/2018/01/15/nous-medecins-hospitaliers-et-cadres-de-sante_1622636 ; Inspection générale des affaires sociales, rapport n° 2016-083R : « Quasi unanimement, les personnes entendues en situation de souffrance dénoncent la loi HPST (Hôpital Patient Santé Territoire) à l’origine d’un renforcement du pouvoir surtout du directeur et de quelques médecins, en l’occurrence les chefs de pôle, nommés par le directeur, allant plutôt dans le sens de l’administration afin d’augmenter la rentabilité de l’hôpital et de recueillir des recettes à l’activité » : http://www.igas.gouv.fr/spip.php?article567 ; Assemblée Nationale, rapport d’information n° 4487 du 15 février 2017 : « Si l’hôpital est un environnement à risque en raison de l’exigence de ses missions, le mode de financement et l’institution de la tarification à l’activité ont également été mis en cause » : http://www2.assemblee-nationale.fr/documents/notice/14/rap-info/i4487).
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