Suicides de France Télécom : les syndicats attendent la reconnaissance d'un harcèlement moral généralisé

Suicide Au Travail

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Du 6 mai au 12 juillet va se tenir, au tribunal correctionnel de Paris, le procès de France Télécom. Les juges devront dire si l’entreprise, en tant que personne morale, mais aussi sept de ses anciens dirigeants, parmi lesquels le PDG, le n°2 et le DRH, sont coupables du délit de harcèlement moral. Syndicats et associations d’aide aux victimes espèrent que ce procès sera celui du management par le stress.

Pas moins de 45 jours d’audience, de 13h à 20h, du 6 mai au 12 juillet, et un délibéré qui pourrait n’être délivré qu’à l’automne : le procès de l’affaire des suicides de France Télécom, au tribunal correctionnel de Paris, s’annonce long et dramatique. Les juges devront dire si sept anciens dirigeants, parmi lesquels Didier Lombard, l’ex-PDG de l’entreprise (devenue depuis Orange et désormais présidée par Stéphane Richard), Louis-Pierre Wenes, l’ex numéro 2 chargé de piloter la transformation du groupe, et Olivier Barberot, ex-directeur exécutif et ex-directeur des ressources humaines (DRH), sans oublier l’entreprise en tant que personne morale, se sont rendus coupables de harcèlement moral au travail, ou de complicité pour quatre autres cadres. Les avocats de trente neuf salariés, dont 18 personnes qui se sont suicidé et 12 autres ayant fait des tentatives de suicide, réclameront cette condamnation pénale, sachant que les trois principaux dirigeants risquent un an de prison et 15 000€ d’amende. Entre 2008 et 2010, France Télécom a en effet connu 58 suicides de salariés et il aura fallu que l’Etat menace l’entreprise d’une mise en demeure en 2009 pour que cesse la politique dite des mobilités forcées.
Les syndicats vont également tenter d’adjoindre une centaine de parties civiles afin de montrer que le harcèlement moral était constitutif d’une politique délibérée de la part de direction, et que donc l’ensemble des salariés ont subi de ce fait un préjudice à indemniser. S’il devrait y avoir une condamnation pénale, cela ouvrirait la voie à une procédure pour faute inexcusable devant le pôle social du tribunal de grande instance (ex-tribunal des affaires sociales) afin que les victimes puissent faire reconnaître la responsabilité de leur employeur dans leur maladie professionnelle ou leur accident de travail. Sébastien Crozier, de la CFE-CGC, estime que les 7 millions d’euros de retraite chapeau perçus par l’ex-PDG devraient être versés à un fonds d’indemnisation des victimes.
Les syndicats CFE-CGC, CFTC, CGT, FO et SUD-PTT, ainsi que la Fnath (association des accidentés de la vie) et l’ADSPro (association d’aide aux victimes et aux organisations confrontées aux suicides et dépressions professionnels), qui ont tenu lundi 15 avril une conférence de presse sur le sujet, sont en effet convaincus que les salariés ont été confrontés à une politique délibérée, définie au plus haut niveau, afin de pousser au départ des milliers de salariés de l’entreprise. Une politique caractérisée par des réorganisations multiples, désordonnées, des intimidations, l’attribution de missions dévalorisantes, un contrôle excessif, etc.

S’agissait-il d’une politique d’ensemble définie au plus haut niveau ?

Ces faits relèvent-ils d’un plan d’ensemble ? C’est ce que semble signifier un document interne de 2007 prévoyant « 22 000 départs en France et une diminution globale des effectifs de 17 000 au niveau du groupe de 2006 à 2008 ». C’est aussi ce qui ressort d’un discours du PDG en 2006 à la maison de la chimie de Paris devant l’association des cadres de l’entreprise, réunion lors de laquelle Didier Lombard annonce « un Crash program » : « Il faut qu’on sorte de la position de la mère poule. Olivier Barberot (Ndlr : le DRH) va vous parler de ce qu’on a en tête. Ce sera un peu plus dirigiste que par le passé. C’est notre seule chance de faire les 22 000 (Ndlr : départs) pour pouvoir recruter les 6 000 car on a un problème sur les nouvelles technologies (…) Il faut bien se dire qu’on ne peut plus protéger tout le monde. Il faut se poser la question de quelle va être notre carrière. En 2007, je ferai les départs d’une façon ou d’une autre ». Des déclarations que Sébastien Crozier rapproche d’autres formules utilisées par la direction pour estimer que celle-ci a pratiqué un véritable déni : « Souvenons-nous que Didier Lombard a dit : «Il faut arrêter cette mode des suicides» ».
Un déni également pointé du doigt par Patrick Akermann : « Il y avait cette blague à la mode dans le management : «Chez Xerox, un commercial qui ne peut pas rentrer par la porte passe par la fenêtre. A France Télécom, on fait sortir les gens par la porte et par la fenêtre» ». Le syndicaliste de SUD-PTT rappelle que son organisation a lancé, avec la CFE-CGC, un Observatoire du stress et des mobilités forcées dès 2007, soit deux ans avant le pic de la vague des suicides. « A l’époque, « la direction a fermé l’accès au site de l’Observatoire depuis les postes de travail. C’est vous dire le déni dont a fait preuve la direction. Il a fallu attendre l’arrivée de Stéphane Richard en 2010 pour que l’accès à notre questionnaire soit rétabli ». C’est en 2007 également que SUD a porté plainte, ce qui a lancé la procédure menant au procès, et c’est aussi l’année du droit d’alerte déclenché par les représentants du personnel au CNSCHT (comité national des CHSCT), de multiples CHSCT ayant lancé des enquêtes, souvent contestées auprès des tribunaux par l’entreprise, sans oublier le travail de l’inspection du travail. Des alertes qui n’ont visiblement pas été prises en compte.

Les experts vont intervenir en tant que témoins

Plusieurs experts, dont Secafi et Technologia, mais aussi des spécialistes de la souffrance au travail comme Christophe Dejours, devraient être entendus lors du procès. Dans un rapport remis en mai 2010, Technologia avait souligné la profondeur de la crise sociale et préconisé une « rupture profonde » avec la « précarisation du rapport au travail institutionnalisée ». Selon les experts missionnés par les CHSCT, l’entreprise, tout en « organisant » une désorganisation voire une agitation faisant perdre ses repères au personnel, a poussé ses managers à adopter un comportement consistant à mettre une pression très forte sur les salariés, sans leur donner les moyens suffisants pour atteindre leurs objectifs, afin de déstabiliser ceux-ci pour qu’ils acceptent une mobilité voire un départ. Une cadre a ainsi évoqué des « reproches incessants » malgré ses 10 heures de travail par jour, une forme de dénigrement qui a atteint sa réputation professionnelle.
Confrontés à ces éléments, les dirigeants mis en examen ont pour l’instant toujours contesté un objectif quantitatif de réduction des effectifs, les chiffres relevés faisant selon eux état d’une simple évolution prévisible ou de départs « naturels ». Ils ont aussi souligné la nécessité pour l’entreprise, confrontée à une mutation de son marché, de se réorganiser afin de s’adapter aux nouvelles technologies, sous peine de disparaître au profit de ses concurrents. Enfin, ils ont nié toute volonté systématique de déstabilisation du personnel, en invoquant, comme Didier Lombard l’a fait, des « difficultés locales ».
L’un des problèmes, d’ailleurs, est que cette réorganisation s’est opérée sans plan de départs volontaires ni plan de sauvegarde de l’emploi et donc sans négociation collective…

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