La santé mentale des Français…
La crise sanitaire actuelle aura, sans surprise, eu un impact important sur la santé mentale des Français.
Dans sa 6e livraison, le baromètre « Confiance et bien-être des Français »[1] avance qu’un tiers des français « évalue leur vie négativement », 19,9% d’entre eux indiquant « ressentir une dépression sévère à modérée » et 21,1% se disant « souvent, voire très souvent anxieux ».
Au sein de la population, comme le souligne l’enquête COVIPREV[2], les profils subissant une dégradation globale de leur santé mentale – liant les 4 indicateurs que sont les états anxieux, les états dépressifs, les problèmes de sommeil et les pensées suicidaires – sont principalement les inactifs, les personnes en situation financière difficile, les personnes ayant déjà déclaré des antécédents au niveau psychologique et celles présentant un risque de développer une forme grave de Covid.
A ces publics particulièrement touchés, doivent s’ajouter de nombreux autres profils cumulant certains des indicateurs comme, par exemple, les étudiants pour les pensées suicidaires, ou les femmes et les 35-49 ans pour les états anxieux et dépressifs ainsi que les problèmes de sommeil. Conséquence de cette situation tendue : une hausse de la consommation des médicaments, puisque les primo-délivrances[3] pour l’ensemble des médicaments psychoactifs ont ainsi évolué, pour les 4 premiers mois de 2021 de + 23 % pour les antidépresseurs, de + 18 % pour les antipsychotiques, de + 15,2 % pour les anxiolytiques, ou encore de + 26,4 % pour les hypnotiques.
… pose la question de la psychiatrie dans notre pays
Cette mise en perspective de la santé mentale des Français et de leur consommation médicamenteuse se révèle, comme souvent avec la crise Covid, être un formidable révélateur/amplificateur d’une situation préexistante. Dans le cas de la psychiatrie, la période que nous vivons met en lumière un lent déclin de la discipline qui semble bien difficile à enrayer. Dressons ici la liste des principales faiblesses pouvant expliquer cette situation, dans un ordre qui ne se voudra ni chronologique, ni ordonné, afin de laisser à chacun la possibilité de réfléchir :
- La première d’entre elles concerne le modèle même de la psychiatrie pratiquée en France. Notre pays, inventeur de la discipline à la fin du XVIIIe siècle, longtemps promoteur d’une vision extensive de celle-ci, c’est-à-dire associée à d’autres visions comme, par exemple, celles de la philosophie ou de la psychanalyse, a vécu une profonde interrogation due à la conjonction de l’arrivée sur le marché de médicaments dédiés aux troubles psychiques et à la montée en puissance d’un répertoire des troubles provenant des États-Unis. Cette classification et le recours à la chimie semblent avoir pris de cours notre modèle et « perdu » nombre de praticiens qui, à mesure que le répertoire est mis à jour, craignent de voir la psychiatrie « à la française » perdre du terrain au profit du « tout médicament ». Résultat, la psychiatrie, en tant que « matière », est moins dynamique et soumise à des divergences d’approche nombreuses, ce qui nuit à sa visibilité, comme à sa reconnaissance.
- La deuxième est, plus classiquement, similaire aux limites rencontrées par notre modèle de santé : trop faible politique de prévention, coordination difficile entre les acteurs de la psychiatrie et les autres acteurs du sanitaire ou du médico-social, des inégalités territoriales importantes et difficiles à enrayer, un trop faible investissement dans la recherche. Ces difficultés fragilisent la psychiatrie, en l’empêchant d’apparaître comme une branche pleinement organisée.
- Troisième faiblesse, un appauvrissement de « l’attractivité » de la psychiatrie, qui peine à recruter de nouveaux professionnels. En cause, la conjonction d’une diminution des financements accordés par les pouvoirs publics à la psychiatrie – génératrice d’une baisse des salaires – et d’une relative atonie de certains professionnels face aux évolutions doctrinales évoquées précédemment. Résultat, une profession qui peine à recruter alors que la demande ne cesse de croître.
- Quatrième et paradoxale faiblesse, la méfiance culturelle de la France et des Français vis-à-vis de la psychiatrie. Paradoxale, car nous sommes 85% à être favorables à une prise en charge des troubles psychiatriques, notamment en dehors de l’hôpital, mais nous laissons se développer une vision sécuritaire de la discipline qui va à l’encontre de cette volonté d’un suivi de proximité. Cette situation est un révélateur de notre malaise face à ce qui touche le domaine psychologique, de notre intimité la plus absolue, alors même que la société dans laquelle nous évoluons – de plus en plus tournée sur l’individu et sa capacité propre à assumer l’ensemble des dimensions de son existence – devrait nous amener à soutenir des politiques publiques plus adaptées pour répondre à cette question.
Un sujet qui devrait interpeller les candidats à l’élection présidentielle
Face à ces faiblesses, qui sont autant de défis à relever de manière combinée, si l’on souhaite réellement positionner la psychiatrie française au niveau des besoins, il serait faux de dire que rien n’a été tenté par les pouvoirs publics. Récemment, fin septembre 2021, les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie, souhaitées par le président de la République, ont débouché sur un certain nombre de mesures qui semblent aller dans la bonne direction : création de 800 postes dans les centres médico-psychologiques, remboursement de consultations de psychologues, soutien à la recherche.
Est-ce à dire que cela sera suffisant ? Vraisemblablement non. Seule une véritable mobilisation de l’opinion publique sera en mesure de permettre une conjonction de réponses, afin de stabiliser la psychiatrie « à la française », de répondre aux problématiques systémiques qui traversent toutes les disciplines de santé, de pallier la baisse d’attractivité du secteur et d’engager une évolution durable de notre regard sur ce qui touche à ce qui est pour nous du domaine de l’intime.
A l’heure où la campagne pour l’élection présidentielle n’est dynamisée que par des sujets qui peuvent paraître fort éloignés du quotidien des Français, la question de la psychiatrie pourrait être intégrée à un grand débat national sur le modèle sanitaire que nous souhaitons construire pour les décennies à venir. Il s’agirait d’une solide pierre pour proposer une politique de soins psychiatriques moins sécuritaire, plus inclusive, et ainsi capable de préparer notre pays à affronter un futur proche qui ne manquera pas de mettre à rude épreuve notre santé mentale collective.
Par Sébastien Podevyn, Fondation Jean-Jaurès
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NOTES
[1] Baromètre « Confiance et bien-être des Français », MGEN, 2021
[2] Enquête COVIPREV, Santé Publique France, 25 novembre 2021
[3] Vidal