Chômage, dépression, suicide : les effets "dévastateurs" des confinements sur le monde du travail

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Tous les voyants sont au rouge, pour les chefs d’entreprise menacés de ruine financière et d’épuisement moral, comme pour les salariés, menacés eux par l’isolement, l’insécurité, l’usure, l’hyperstress. Marie Pezé, spécialiste de la souffrance au travail, dénonce ainsi « la violence policée des plans sociaux » et « celle désinhibée de certaines organisations de travail » contre des salariés « contraints de travailler bien qu’étant en chômage partiel », d’autres « sans aucun moyens de protection », d’autres encore « poussés à la démission ou à ‘l’abandon de poste' ».

Perte d’emploi, maladies, suicides… : l’impact des confinements décidés en raison de la crise sanitaire sur le monde de travail risque d’être « dévastateur » en terme de santé globale et de fracture sociale, alertent des acteurs de la santé au travail interrogés par l’AFP.

Pour Xavier Alas Luquetas, psychothérapeute et cofondateur du cabinet Eléas, spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux, la situation est grave :

« Tous les voyants sont au rouge. Les gens sont sortis du premier confinement épuisés, avec une pression réelle de beaucoup d’entreprises et parfois des travailleurs eux-mêmes pour mettre les bouchées doubles. Beaucoup n’ont plus de ressources pour vivre un deuxième confinement. »

Il ajoute :

« Quand on pense aux licenciements massifs prévisibles, au nombre de ceux qui vont mettre la clé sous la porte, on peut s’attendre à des conséquences sanitaires et sociales très importantes. Une partie de la population va être totalement déclassée et mise de côté. Les effets induits auront des conséquences très lourdes sur la santé psychique et physique des gens. »

L’Insee prévoyait 730.000 destructions d’emplois sur l’année, avant même le deuxième confinement. Le premier (du 17 mars au 11 mai) a entraîné l’appauvrissement d’un quart des ménages.

La France comptait 9,3 millions de pauvres en 2018 et ils pourraient être un million supplémentaire du fait de la crise, ont avancé certaines associations.

Pour Jean-Claude Delgènes, économiste et directeur général du cabinet de prévention des risques professionnels Technologia, « on a anesthésié la douleur sous forme d’aides et de prêts garantis par l’État mais elle demeure ».

Isolement et hyperstress

« Ça génère une très grande anxiété, un sentiment d’impuissance et de fatalité qui peuvent conduire à une spirale connue : ruine, divorce, dépression, suicide », ajoute M. Delgènes, s’attendant à de « nombreux dépôts de bilan ».

Avec son réseau de « sentinelles » (juges, mandataires judiciaires, experts-comptables, avocats…) en lien avec 1.200 psychologues apportant leur soutien aux chefs d’entreprises en détresse, l’association Apesa, créée en 2013 à l’initiative du tribunal de commerce de Saintes (Charente-Maritime), fait état d’une « hausse de 40% des prises en charge (730) » entre janvier et octobre, comparé à la même période de l’année précédente.

« La ruine financière et morale des chefs d’entreprise a toujours existé mais là, on est confrontés à une crise majeure », dit son co-fondateur Marc Binnié.

Côté salariés, « l’isolement » lié au télétravail et au chômage partiel, est « l’ennemi majeur », estiment MM. Delgènes et Alas Luquetas.

Isolement, insécurité, usure, hyperstress : Marie Pezé, docteur en psychologie responsable du réseau national de consultations de souffrance au travail, constate « une dégradation générale de la santé » de ses patients avec des tableaux cliniques allant « d’une très grande fatigue à des décompensations psychiatriques en mode délirant ».

« La violence policée des plans sociaux »

Elle dénonce « la violence policée des plans sociaux » et « celle désinhibée de certaines organisations de travail » contre des salariés « contraints de travailler bien qu’étant en chômage partiel », d’autres « sans aucun moyen de protection », d’autres encore « poussés à la démission ou à l’abandon de poste ».

Employée d’un groupe hôtelier en région parisienne et reléguée à des « tâches administratives quelques heures par semaine dans un hôtel fantôme » depuis le reconfinement, Maria (prénom modifié), la cinquantaine, dit « faire avec les difficultés financières et la déprime ». Mais elle confie à l’AFP se sentir « prisonnière d’un système qui s’enrichit en (lui) volant (sa) santé et (sa) vie ». Elle craint « que l’isolement et la perte de tout lien social tuent plus que le virus ».

« Alors qu’on était depuis dix ans dans une accélération vertigineuse des rythmes de vie, tout s’est arrêté avec une perte de routine et de repères, en particulier dans le travail où l’appartenance sociale est mise à mal », constate M. Delgènes.

« Certains sont perdus sans le collectif, d’autres travaillent de manière compulsive pour démontrer leur engagement par peur de perdre leur emploi, dans un environnement où toutes les autres facettes de la vie sociale sont gelées », ajoute-t-il.

Durcissement du management et hausse des alertes suicidaires

Ce professionnel rôdé au traitement des crises suicidaires en entreprise dit avoir été confronté à « un grand nombre d’alertes (en entreprises) depuis avril ».

« Quand j’ai vu la nature des remontées avec le durcissement du management face aux objectifs de rentabilité, les injonctions là où il faudrait de l’empathie et de la souplesse, je n’ai pas arrêté d’alerter », assure-t-il, déplorant des « accords de performance collective d’entreprises qui ont conduit à une très forte perte de salaire pour les salariés mais pas pour les dirigeants ».

Une enquête réalisée du 21 au 28 septembre par l’institut Ifop pour la fondation Jean Jaurès révèle que, comme 27% des dirigeants d’entreprise et 27% des chômeurs, 25% des commerçants et artisans ont eu l’intention réelle de se suicider en 2020, notamment depuis la fin du premier confinement. Parmi ces derniers, 42% confient avoir été hospitalisés après une tentative.

« Je voudrais qu’on soit autant mobilisés face à cela que face à la Covid , car si on prend en compte tous les effets induits des confinements, il y aura des effets dévastateurs sur la santé globale », fulmine Michel Debout, professeur de médecine légale et de droit de la santé, membre de l’Observatoire national du suicide, et co-auteur de l’enquête.

Via le site www.latribune.fr

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