En l’espace de vingt ans, la santé des femmes au travail s’est lourdement dégradée. Premières victimes de ce fléau invisibilisé par les pouvoirs publics : les travailleuses essentielles.
Le 22 mars 2020, quelques jours seulement après le début du premier confinement, des millions de téléspectateurs découvrent, sur TF1, le témoignage de Martine, une employée d’un supermarché alsacien. En polaire bleu, cheveux blancs et mains gantées derrière une vitre en Plexiglas, Martine est émue aux larmes. « On se dit qu’on est là pour les autres, qu’ils peuvent venir faire des courses, parce que si on n’était plus là, on aurait du mal à se nourrir », confie-t-elle.
Trois jours plus tard, Emmanuel Macron se fend d’un message sur Twitter, accompagné du témoignage de Martine : « Merci Madame. C’est grâce à vous et vos collègues que nous pouvons, tous ensemble, lutter contre le Covid-19. » La caissière alsacienne devient le symbole des invisibles de la première et de la deuxième ligne. Celles et ceux qu’on ne voit pas, ou dont on ne parle jamais, mais dont l’activité est indispensable au bon fonctionnement de la collectivité. Des travailleurs qui, dans leur écrasante majorité, sont des femmes.
Disclose a enquêté sur les conditions de travail des plus de 2 millions de travailleuses dites « essentielles » : infirmières, aides-soignantes, caissières, aides à domicile. Nous sommes allés à leur rencontre dans le Jura, en Bretagne mais aussi en Auvergne ou encore à Lyon. Elles travaillent pour Lidl, Casino, le groupe Colisée, l’ADMR et dans nos hôpitaux. Certaines témoignent à visage découvert des souffrances physiques et psychologiques subies au cours de leur carrière. D’autres se sont confiées anonymement, de peur d’être sanctionnées par leurs employeurs. Toutes ont un point commun : leurs conditions de travail détruisent leur santé.
Dégradation alarmante
Dépression, troubles musculo-squelettiques (TMS), inhalation de produits dangereux, cancers… En croisant les données de plusieurs administrations publiques, Disclose dévoile une dégradation alarmante de la santé des femmes au travail, à commencer par celles qui occupent des métiers précaires et ultra-féminisés.
Entre 2001 et 2019, les maladies professionnelles ont explosé de 158,7 % chez les femmes, selon des chiffres exclusifs issus de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). Sur la même période, le nombre d’accidents du travail chez les femmes est passé de 172 682 à 244 558, soit une augmentation de 41,6 %. A l’inverse, les accidents chez les hommes ont diminué de 27,2 %.
Ces chiffres inédits révèlent un enjeu de santé publique totalement ignoré des pouvoirs publics. Comme si la pénibilité du travail n’était qu’une affaire d’hommes.
« Le type de contraintes que vivent les femmes, que ce soit en milieu hospitalier ou dans la vente au détail, est invisible », rappelle Karen Messing, universitaire québécoise et pionnière de recherches sur la santé au travail des femmes. Ce que confirme Yves Roquelaure, médecin du travail au CHU d’Angers. « On a tendance à considérer le travail du maçon ou de l’ouvrier comme plus pénible que celui de la dame qui met des produits en barquette, déplore le médecin et directeur du laboratoire de recherche Ester (Épidémiologie en santé au travail et ergonomie). Mais c’est une représentation du monde du travail dans lequel la pénibilité serait égale à la virilité. Ce n’est pas tout à fait en phase avec la société. » Même si les hommes restent davantage victimes d’accidents du travail.
Les chiffres révélés par Disclose vont à l’encontre de toutes les idées reçues. Les infirmières et les sages-femmes, par exemple, sont plus accidentées que les travailleurs du bâtiment. Quant aux aides à domicile, le nombre d’accidents du travail dans la branche est passé de 10 022 à 21 082 en dix ans (2009-2019), selon des données de l’Assurance-maladie.
Une augmentation de 110 % qui fait de leur profession l’une des plus sinistrées, tous secteurs confondus. « Les femmes sont beaucoup plus souvent assignées à un travail répétitif, y compris quand elles sont employées », explique Delphine Serre, sociologue et professeure à l’université Paris-Descartes. Un constat que partage Florence Chappert, experte à l’Anact : « L’intensification du travail a plus d’impact sur la santé des femmes que celle des hommes compte tenu des métiers occupés. »
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