L’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) s’apprête à former des professionnels du cinéma, de l’audiovisuel et des jeux vidéos à la prévention des violences sexuelles et sexistes. Au quotidien, l’association intervient surtout dans les procédures judiciaires de femmes victimes. Pour les soutenir, mais aussi pour faire bouger la loi.
Dans le grand auditorium du Centre national du cinéma (CNC), des professionnels du grand écran et des jeux vidéos sont venus solliciter une aide financière pour créer leur œuvre audiovisuelle. Ils doivent d’abord visionner un court film. Une jeune illustratrice témoigne, de manière anonyme, de son quotidien de travail dans le secteur très masculin du jeu vidéo : « C’est banal d’entendre, de la part de mes collègues : « S’il y a un personnage féminin dans le jeu, faut que j’aie envie de la baiser » ou « Vas-y, dessine-lui une bouche de suceuse ». Ça brouille les limites. Si bien qu’au quotidien, un collègue va se permettre de dire à une autre en jupe courte : « Ça me donne envie de mettre ma tête entre tes cuisses. » Cette pression constante nous met dans un état d’hypervigilance stressant et fatigant. »
Une discussion s’engage ensuite, animée par une association : l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). C’est elle qui a été choisie par le CNC pour former les professionnels à la prévention des violences. Le projet du CNC est ambitieux [1] : il conditionne l’octroi d’aides financières publiques aux créateurs au fait qu’ils suivent la formation dispensée par l’AVFT. Le témoignage de l’actrice Adèle Haenel [2] et d’autres femmes victimes dans le milieu du cinéma aurait-il été entendu ? « Ces formations de prévention sont importantes pour modifier les consciences sur les plateaux et dans les studios, souligne Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’AVFT. Pour agir en amont. Car l’association est souvent intervenue, ensuite, pour défendre des femmes victimes dans ces secteurs. »
« Notre objectif est qu’une procédure judiciaire bénéficie aussi à toutes les autres femmes victimes »
Habituellement, l’AVFT est plus loin des projecteurs. Ce qu’accomplit l’association depuis 1985 [3], dans l’ombre, n’en est pas moins considérable. La formation et la sensibilisation contre les violences sexuelles et sexistes au travail constituent l’un des axes de l’action de l’AVFT. L’autre est la défense des victimes grâce à un outil principal : le droit. L’association intervient à leurs côtés auprès des employeurs, de l’inspection du travail, du parquet ou de la police pour que leurs droits soient respectés.
En Europe, six femmes sur dix sont confrontées à des violences sexuelles au cours de leur vie professionnelle [4] : harcèlement, agressions sexuelles, viols. « L’AVFT n’est pas une association d’aide aux victimes, c’est une association féministe et politique de défense des victimes, précise Marilyn Baldeck. C’est-à-dire que nous n’œuvrons pas seulement pour qu’une femme obtienne réparation personnellement. Notre objectif est que sa procédure judiciaire bénéficie aussi à toutes les autres femmes victimes. » Notamment en faisant évoluer la jurisprudence. Et en intervenant dans les tribunaux pour mieux faire comprendre aux magistrats et juristes la réalité des violences sexuelles.
Blagues sexistes et humiliations publiques
Au point de départ de l’action de l’AVFT : le coup de téléphone ou le mail d’une femme victime [5]. L’association, qui compte sept employées, des stagiaires et des bénévoles, reçoit 300 sollicitations par an. Ces saisines ont triplé en cinq ans. À chaque rentrée de septembre, les appels explosent. « À l’occasion de vacances, d’arrêts maladie ou maternité, les femmes prennent du recul et conscience des violences qu’elles subissent », constate Marilyn Baldeck. Dans les bureaux parisiens de l’association, Léa Scarpel, juriste chargée de mission, tient la permanence téléphonique accessible trois demi-journées par semaine. Elle reçoit justement l’appel d’une directrice de salle de spectacle « que le confinement a sauvée », selon cette dernière. Pendant longtemps persuadée « qu’il faut tout donner pour le travail », elle a subi sans broncher les blagues sexistes, regards déplacés, propos sur ses tenues et humiliations publiques de la part de son supérieur. Confinée, la professionnelle a dénoncé le harceleur à leur employeur, qui lui a rétorqué qu’elle faisait mal son travail. Écœurée, elle appelle l’AVFT pour chercher conseil.
Les victimes qui appellent viennent de tous les secteurs professionnels. Les jeunes femmes sont plus nombreuses, surtout à cause de leur positionnement plus bas dans la hiérarchie. Les professionnelles du nettoyage, de la santé, de la sécurité et des collectivités sont sur-représentées. Toutes sont piégées par la contrainte économique, et Marilyn Baldeck ajoute que « particulièrement en période de crise, dénoncer expose à perdre son travail et ne pas en retrouver. » L’attaque sur leur travail, la découverte qu’une autre salariée est victime ou l’arrivée dans l’entreprise d’une stagiaire, cible potentielle, sont souvent des éléments qui déclenchent leur parole.
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Notes :
[1] Il est complété par la mise en place, conjointe avec l’organisme de protection sociale Audiens, d’une ligne d’écoute à destination des professionnels de la culture (01 87 20 30 90), de consultations médicales « emprise » et de consultations juridiques.
[2] Adèle Haenel a porté plainte contre le réalisateur Christophe Ruggia pour harcèlement et agressions sexuelle alors qu’elle avait entre 12 et 15 ans.
[3] L’AVFT a été fondée par trois femmes : Yvette Feuillet, eurodéputée, Marie-Victoire Louis, militante et chercheuse féministe et une femme victime de harcèlement sexuel au ministère de l’Économie.
[4] Enquête sexisme au travail, Ifop, 2019.