La réforme des retraites aura relancé le débat sur la pénibilité et sa remise en cause dès le début du quinquennat, en octobre 2017. Pour beaucoup de travailleurs, l’usure professionnelle entraîne l’exclusion de l’emploi bien avant d’avoir atteint l’âge d’équilibre.
N’en déplaise à Emmanuel Macron, de nombreux salariés et agents sont exposés à un travail pénible qui les empêche de s’y maintenir. Les données rassemblées par un collectif d’agents de la direction de l’Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques (Dares) du ministère du Travail indiquent que, entre 59 et 61 ans, un senior sur cinq est inactif avant d’avoir liquidé sa retraite ; dans 35 % des cas, c’est à cause d’un problème de santé. Les 55-64 ans sont aussi deux fois plus nombreux que les 30-40 ans à déclarer être à temps partiel pour les mêmes raisons. Et les moins qualifiés sont encore plus concernés par ces deux constats. Or la situation de travail antérieure est impliquée dans cette « hécatombe ».
Ainsi, « les salariés qui ont exercé pendant au moins quinze ans des emplois pénibles sont moins souvent en emploi, et bien plus souvent limités dans leurs activités quotidiennes », relève la note. Une observation qui rejoint celle-ci, tirée de l’enquête Santé et itinéraire professionnel (SIP) : « Les personnes sorties définitivement de l’emploi avant 60 ans ont des trajectoires stagnantes peu qualifiées et sont plus exposées au cumul de pénibilités physiques que les autres […]. Leurs carrières sont davantage affectées par une santé plus dégradée. » Inactivité, temps partiel, périodes de chômage et de maladie… Le futur système de retraite par points, en incluant ces périodes dans le calcul des pensions, défavorisera ces salariés par rapport au système actuel des vingt-cinq meilleures années.
Les femmes de plus en plus concernées
Ce constat n’est pas anodin. Il s’applique à des millions de
travailleurs exposés. Si l’enquête Surveillance médicale des expositions
des salariés aux risques professionnels (Sumer) note en 2017 des
améliorations, la manutention de charges lourdes reste le lot quotidien
de 35 % des salariés. En 2016, selon l’enquête nationale sur cinq
répertoriées : port de charges, postures pénibles, travail debout,
déplacements longs et à pied, vibrations. Des expositions qui ne peuvent
être considérées indépendamment de contraintes organisationnelles
toujours très présentes et d’une intensité du travail élevée.
Les industries extractives et manufacturières, le BTP, le
transport-logistique sont très touchés, mais les activités de services
prennent le relais, à commencer par le secteur sanitaire. Une analyse de
la Dares, menée sur la base de l’enquête Sumer et publiée en décembre
dernier, pointe que la pénibilité au travail déclarée par les salariés
est la plus élevée dans le secteur hospitalier. A côté des ouvriers, les
employés et professions intermédiaires sont donc de plus en plus
concernés et, parmi eux, les femmes. Selon la Dares toujours, 70 % des
aides-soignants et 63 % des infirmiers et sages-femmes – professions
hyperféminisées – se disent exposés à au moins trois contraintes.
Horaires nocturnes et atypiques, sollicitations physiques multiples,
pression temporelle : ces personnels cumulent les exigences. D’après une
analyse réalisée à partir des données du dispositif national Evolutions
et relations en santé au travail (Evrest), « l’hôpital arrive
devant l’industrie et le BTP, aussi bien pour les contraintes physiques
(port de charges et postures) que pour l’intensité du travail
(travailler trop vite et sous pression temporelle) », explique Lætitia Rollin, médecin du travail et directrice de l’observatoire Evrest.
« Beaucoup finissent au RSA »
Au fil du temps, ces contraintes sont plus difficiles à supporter. Des mois de contestation ont donné de la visibilité aux difficultés de ces métiers, et la loi présentée par le gouvernement le 3 mars dernier conserve finalement le droit de partir à la retraite à 57 ans pour les aides-soignantes et infirmières de catégorie B, dans le public du moins. Rien de tel pour les ouvriers du BTP, grands oubliés du débat. Selon Frédéric Mau, secrétaire général de la Fédération CGT de la construction, « 50 % d’entre eux ne sont plus en activité à 60 ans, bien souvent pour raison de santé ! Intempéries, manutentions, postures, bruit, vibrations, produits chimiques… la polyexposition est la règle ». Les fins de carrière sont difficiles. « Beaucoup ne font pas reconnaître leurs droits en matière de maladie professionnelle et finissent au RSA », ajoute-t-il. Son syndicat revendique « une retraite à 55 ans, pour préserver le peu de capital santé qui nous reste ».
Même problématique dans la transformation agroalimentaire, où le travail à la chaîne et en équipes alternées provoque une usure prématurée. « Tenir jusqu’à 60 ans est une gageure, assure Fabien Guimbretière, secrétaire général de la Fédération CFDT. Nombre de salariés de production sont licenciés pour inaptitude avant la retraite, souvent après de longs arrêts de travail. On essaie de les accompagner dans leur déclaration de maladie professionnelle. C’est compliqué pour eux de se former afin de se reconvertir. » Il regrette l’absence d’un accord de branche sur la pénibilité.
Piégés par les seuils
La loi retraite prévoit des aménagements du compte professionnel de prévention (C2P) : ouverture à la fonction publique ; baisse du seuil de reconnaissance du travail de nuit, qui passe de 120 à 100 nuits par an ; cumul plus rapide des points. Entré en vigueur en 2015 sous l’appellation « compte personnel de prévention de la pénibilité » (C3P), il permet aux salariés exposés d’acquérir des points utilisables pour une formation, un temps partiel ou une retraite anticipée. Mais au lieu des 3,3 millions de bénéficiaires prévus par an, moins de 900 000 salariés ont été déclarés par les employeurs en 2016. Soit au plus fort du dispositif, quand celui-ci intégrait dix critères de pénibilité. Depuis, la réforme de 2017 en a supprimé quatre – port de charge, postures, vibrations, produits chimiques –, excluant ainsi quantité de salariés, notamment dans le BTP.
Une étude de la Caisse nationale d’assurance vieillesse sur les déclarations de 2016 révèle que plus de 50 % des déclarations renvoient au travail de nuit et en équipes alternantes, et un tiers aux quatre critères écartés par la suite. La faible part du BTP dans ces déclarations tend à montrer que les seuils retenus pour les critères port de charges et postures pénibles sont trop élevés. « Le BTP est piégé par les effets de seuil, alors que les salariés cumulent les expositions. Et les entreprises n’ont pas joué le jeu », souligne Pierre-Gaël Loréal, secrétaire confédéral à la CFDT, chargé des questions de santé au travail. La confédération milite pour une réintégration des critères supprimés et pour une meilleure prise en compte des polyexpositions. « On doit être en mesure de négocier dans les branches à partir de l’identification des situations de travail pénibles, estime le cédétiste. En cas d’échec, on propose un système supplétif obligatoire : s’appuyer sur les codes risques de la Sécurité sociale, indices de la sinistralité des entreprises. »
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