J’ai perdu le courage comme on égare ses lunettes. Aussi stupidement. Aussi anodinement. Perdu de façon absolue, si totale, et pourtant si incompréhensible. (…)
L’apprentissage de la mort, est-ce celui du courage ? Savoir qu’il va falloir tenir alors que rien ne tient. Est-ce cela la vie ? La vie digne ? Comment apprendre le courage ? Comment reprendre courage ? Comment nourrir le courage pour qu’il ne vous quitte plus ? J’ai perdu courage alors même que je voyais la société dans laquelle je vivais être sans courage. J’ai glissé avec elle. Glissé en elle. Me mêlant chaque jour à cette négociation du non-courage. Là, il n’y a pas d’eau. Seulement la corrosion. C’est Naples et ses ordures. Nous vivons dans des sociétés irréductibles et sans force. Des sociétés mafieuses et démocratiques où le courage n’est plus enseigné. Mais qu’est-ce que l’humanité sans le courage ? (…) Je crois que sans rite d’initiation les démocraties résisteront mal. Je vois bien qu’il faut sortir du découragement et que la société ne m’y aidera pas. Comment faire ? Qui pour me baptiser et m’initier au courage ? Qui pour m’extraire du mirage du découragement ? Car il me reste un brin d’éducation pour savoir que cela n’est qu’un mirage. Qu’il n’y a pas de découragement. Que le courage est là ; comme le ciel est à portée du regard.
Cette émouvante confession est celle d’une brillante philosophe, grande spécialiste de la pensée politique : il s’agit de Cynthia Fleury , qui signe là les premières pages d’un essai remarquable, La fin du courage , publié en 2010 chez Fayard. Découvrons cette réflexion passionnante sur l’un des grands maux de notre monde contemporain : le découragement, qui touche à la fois l’individu et la société. Tentons de comprendre comment nos petits renoncements quotidiens peuvent mener aux grandes catastrophes politiques.