Il faut savoir varier les rythmes de vie

11 juin 2013 | Revue de Presse

Une interview de Pascal Chabot dans le Figaro

INTERVIEW – Répondre aux mails, boucler plusieurs dossiers, préparer le repas , surveiller les enfants… Les adeptes du «tout, tout de suite» sont aujourd’hui au bord de l’implosion. Le philosophe, Pascal Chabot se penche sur la question.

Pascal Chabot, philosophe, enseignant à l’Ihecs (Institut des hautes études des communications sociales) de Bruxelles, vient de publier Global Burn-Out (PUF).
LE FIGARO – Dans votre livre, vous étudiez le burn-out dans sa dimension philosophique. Cette «maladie de civilisation», comme vous la définissez, a-t-elle toujours à voir avec le temps?
Pascal CHABOT – Bien sûr, ce syndrome d’épuisement entretient forcément des liens avec la gestion qu’ont les individus de leur temps. D’ailleurs, en réalité, il n’est rien, dans toutes nos activités humaines – que nous dormions, mangions ou rêvions – qui ne concerne notre rapport au temps. Actuellement, c’est dans le domaine du travail que celui-ci est particulièrement éprouvé. Certains environnements professionnels obligent les salariés à s’adapter à des cadences effrénées. Ils font alors penser au Charlie Chaplin des Temps modernes qui doit tourner des boulons au rythme de la machine, même si, en l’occurrence, la machine contraint davantage les psychismes que les corps.
Comment en sommes-nous arrivés là?
C’est notamment le contexte technologique qui a provoqué cela. Nous avons inventé des objets qui devraient nous faire gagner du temps, mais leur mise en réseau, leur multiplication et leur omniprésence se sont étrangement retournées contre nous. Le téléphone portable, par exemple, nous a plongés dans une certaine tyrannie de l’urgence. Où que nous soyons, nous pouvons connecter sur le champ notre destinataire… Et sommes nous-mêmes sommés de répondre instantanément. Et nous ne pouvons pas nous en plaindre, vu ce que cette technologie nous apporte! C’est là toute l’ambiguïté de notre rapport au progrès, qui doit rester au service de l’humain alors que sa logique de développement l’en éloigne parfois.
Qu’est-ce qui pèche dans l’immédiateté?
Immédiat veut dire «sans médiation». La conscience, la réflexion sont en effet de moins en moins convoquées comme intermédiaires entre nous et notre action. Ce sont elles qui font qu’une réponse écrite dans une longue lettre aura plus de résonance qu’un mail expédié en un clic de souris. Toutefois, il y a certaines situations où l’immédiateté est un plus: quand on est avec de jeunes enfants, il faut souvent pouvoir réagir instantanément.
Comment vivre au mieux, alors?
Ce qui compte et fait le sel de la vie, c’est certainement d’habiter alternativement plusieurs temporalités. Parfois on a besoin de rythme lent, comme quand on se promène dans la nature, ou qu’on rend visite à des personnes âgées. Parfois, on a besoin d’excitants et de goûter à l’ivresse de la vitesse. Se limiter à un seul rythme, quel qu’il soit, engendre l’ennui. Il faut chercher à évoluer dans une multiplicité temporelle, trouver des résonances entre des rythmes différents. Encore faut-il pouvoir le faire, car dans certains contextes professionnels un seul temps existe et, en plus, il est imposé.
Faudrait-il donc s’adapter?
On peut dire que, d’une certaine manière, nous nous sommes bien adaptés à l’urgence imposée par l’industrialisation et la mondialisation. Mais des questions demeurent: pour quelle récompense? Dans quel objectif? Car si le propre de l’homme est de s’adapter, il le fait toujours pour trouver un certain bonheur, et se réaliser. Avec une vie vouée à l’immédiateté, on peut douter d’un tel résultat.

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