« Un congé parental ? Je n’ose même pas imaginer la réaction de ma hiérarchie »
François Hollande a annoncé, jeudi 7 mars, dans son discours à La Villette, à Paris, des mesures pour inciter les pères à prendre davantage leur part du congé parental. Dans le projet de loi sur l’égalité entre les sexes, qui devrait être présenté en mai, le congé parental pris à partir du deuxième enfant pourrait être réduit à deux ans et demi si le deuxième parent (en général le père) n’en prend pas six mois.
A la suite de notre appel à témoignages « Vous êtes bientôt père: seriez-vous prêt à prendre six mois de congé parental? », nous avons reçu une centaine de réponse de pères. Enthousiastes, inquiets ou réfractaires à l’idée de prendre une longue période de congé parental, l’immense majorité de ces internautes soulignent l’importance de la question financière à l’heure du choix.
« Un vrai bonheur de pouvoir rester à la maison et de m’occuper de mes enfants », par Julien S., 37 ans, Caluire (Rhône).
« J’ai pris un congé parental à l’arrivée de chacun de mes trois enfants. Six mois pour le premier, quatorze mois pour la seconde et douze mois pleins pour la dernière. Depuis les 3 ans de celle-ci, je suis à temps partiel. Nous avons pris cette décision avec ma conjointe parce que j’ai un emploi du temps pénible et un petit salaire (bien plus bas qu’elle) et surtout la garantie que mon emploi serait maintenu dans mon entreprise où mon choix a été encouragé. Cela a été un vrai bonheur de pouvoir rester à la maison et de m’occuper de mes enfants.
Certaines personnes – proches ou non – se sont bien sûr questionnées sur ce choix, mais cela m’a plus fait sourire qu’autre chose. Il n’est pas judicieux de raccourcir ce temps important dévolu aux enfants. Il faut faire entrer dans les mœurs que la décision de prendre le congé parental n’est pas obligatoirement un choix sexué. Et rappeler aux entreprises qu’elles sont tenues de maintenir le poste existant pour la personne qui part en congé, donc certainement pas de la mettre au placard ou de la discriminer. »
« On ne peut pas car on ne s’en sortira pas financièrement », par Nicolas T., 42 ans, ingénieur dans le secteur public.
« Je suis père de trois enfants, dont la dernière va avoir un an. Ma femme a pris un an de congé parental. Je suis prêt à prendre un an moi aussi, car je voudrais passer du temps avec ma fille et avec mes autres enfants. Et par la même occasion prendre du recul par rapport à mon travail et mon milieu professionnel, qui me pèsent par moments. Je voudrais peut-être en profiter aussi pour me former (éventuellement à distance) et m’ouvrir à d’autres compétences. Mais on ne peut pas car on ne s’en sortira pas financièrement.
Je trouve le projet du gouvernement intéressant. Un congé parental, à mon avis, ce n’est pas forcément un frein à la carrière mais cela peut au contraire nous faire progresser professionnellement en nous permettant de prendre du recul. En tout cas, c’est une occasion de prendre de le temps de s’occuper d’autres aspects de la vie, car la carrière n’est pas tout. »
« Je n’hésiterais pas une seconde à m’arrêter six mois si la perte financière était moins conséquente », par Renaud H., 42 ans.
« Ma femme a pris un an de congé parental pour notre deuxième enfant, je l’ai enviée car j’en avais vraiment envie. Mais à l’époque, ayant un salaire 50 % plus élevé qu’elle, la perte financière était vraiment trop importante. Pour notre troisième enfant, si ma femme prend un congé pendant un an ou deux, je n’hésiterai pas une seconde à m’arrêter six mois si cette fois la perte est moins conséquente.
Deux problèmes se posent : les femmes sont moins payées car elles ont des carrières moins continues, et les hommes ne s’arrêtent pas car ils sont mieux payés. Il faut casser cette logique pour permettre à un nombre probablement conséquent d’hommes de faire le choix de consacrer plus de temps à leur famille. »
« La seule question qui compte aujourd’hui est celle des revenus ‘perdus’ pendant le congé parental », par Romain, 37 ans, employé.
« Je suis père de trois enfants, j’ai arrêté de travailler 18 mois après la naissance de l’aînée. Ma femme s’est arrêtée deux ans après la naissance du deuxième (en en profitant pour changer de voie professionnelle). Pour le troisième, nous désirions tous les deux nous arrêter. Ma femme s’est arrêtée 6 mois. Mon fils a aujourd’hui 18 mois mais je n’ai pas renoncé à l’idée de m’arrêter à nouveau 6 mois avant ses 3 ans… La question de savoir si la « société comprend cette situation » est anachronique : j’ai été non seulement compris mais envié.
La seule question qui compte aujourd’hui c’est les revenus « perdus » pendant l’arrêt : si l’un des parents gagne beaucoup plus que l’autre, il lui est évidemment beaucoup plus difficile de s’arrêter, que ce soit le papa ou la maman. Toute considération « sexiste » de la question est dépassée, c’est la question économique qui s’impose aux couples de nos jours… J’ai la chance de gagner grosso modo le même salaire que mon épouse, ce qui fait qu’on s’est arrêtés indifféremment l’un et l’autre. »
« Lors de mon deuxième congé, j’ai pu observer une certaine évolution culturelle », par Gildas.
« Cadre dans une grande collectivité et chef de service, j’ai pris un congé parental durant une période de deux ans. Ensuite, c’est mon épouse, voyant que l’expérience avait été pour moi une réussite, qui a fait de même lorsque nos deux derniers enfants sont nés. Quatre ans plus tard, c’est de nouveau moi qui me suis arrêté de travailler sous le régime d’une « disponibilité pour élever un enfant de moins de huit ans ». En 2006, il y avait beaucoup d’incompréhension parmi mes collègues et surtout des reproches de la part de ma hiérarchie. Le poste que j’ai retrouvé ensuite était à un niveau de responsabilité inférieur à celui que j’avais quitté deux ans auparavant. En quelque sorte, je l’ai payé…
Quatre ans plus tard, lors de mon deuxième congé, j’ai pu observer une certaine évolution culturelle : félicitations plus nombreuses de la part de mes collègues, plus grande compréhension de la part de ma hiérarchie… Je pense que pour pouvoir faire un tel choix, d’une carrière moins linéaire, il faut avoir fait soi-même sa propre révolution psychologique pour ne pas souffrir du regard de la société. Personnellemement, je l’ai faite : je me suis détaché progressivement de l’importance donnée par notre société à la valeur du travail rémunéré, pour considérer d’autres valeurs tout aussi émancipatrices et constructives (voire plus) : contribuer à la sécurité affective de mes enfants, l’engagement citoyen, les activités manuelles, permettre à ma femme de s’investir professionnellement. »
« Ce qui nous permet de le faire c’est notre niveau de revenu, la sécurité de l’emploi et un gain fiscal éventuel », par Jean-Marc H.
« C’est très simple : ma femme gagne 3 500 euros par mois, j’en gagne 1 900. Notre enfant naîtra en août. Ma femme va prendre son congé maternité le temps de l’allaitement et suivant sa santé, sans forcer… Mon employeur est en légère difficulté et me dit : « Si tu dégages de janvier à avril 2014, je ne demande pas mieux! » Je vais me reposer (je suis menuisier), je suis sûr d’être repris, je vais pouponner mon enfant qui aura un papa poule. Ce qui nous permet de le faire c’est notre niveau de revenu, la sécurité de l’emploi et un gain fiscal éventuel… »
« Avec ou sans loi, je l’aurais fait », par Johann V.
« Avec ma femme nous envisageons un deuxième enfant. Ma femme ayant un travail très prenant, loin des 35 heures, il nous semblait évident que je prenne du temps sur mon temps professionnel pour élever nos deux enfants. Si la loi va dans ce sens, c’est une chance pour nous. Nos proches comprennent et encouragent tout à fait cette décision. Quant à l’impact sur ma vie professionnelle, il sera nul, n’ayant pas « d’échelon à grimper ». »
« Je n’ose même pas imaginer la réaction de ma hiérarchie à l’annonce d’une telle nouvelle », par Frank S., 38 ans, Bordeaux.
« Cadre opérationnel au sein d’une grosse PME, en tant qu’homme, je souhaiterais pouvoir profiter d’un temps de vie avec mon futur enfant qui naîtra au mois de septembre à travers un congé parental. L’égalité hommes-femmes sur ce sujet me séduit, c’est ma conviction. Mais il y a un hic : je n’ose même pas imaginer la réaction de ma hiérarchie à l’annonce d’une telle nouvelle. L’image d’un homme qui prend ses responsabilités et qui s’occupe de sa famille devrait plaire à tout employeur, seulement c’est tout le contraire.
En tant que cadre, homme, de nos jours et dans beaucoup d’entreprises, vous vous devez d’assumer votre rôle, gérer le stress, être présent. Quitter son poste ne serait-ce que quelques mois reste inenvisageable. Le retour n’en serait que plus difficile, et sans doute fatal. Alors quelle solution reste-t-il ? Un congé plus court, rémunéré mais aussi obligatoire pour les hommes. »
« La vrai égalité hommes-femmes, ce n’est pas de mettre les papas à la maison, mais d’aider les mamans à travailler », par Brice, Paris.
« J’ai quatre enfants, le dernier né a 5 mois. Je suis contre le congé parental. C’est le meilleur moyen de perdre pied dans le monde du travail, de ne pas couper le cordon avec ses enfants, de ne pas prendre l’habitude de les confier. Un congé court, c’est très bien, mais rares sont celles et ceux qui arrivent à reprendre un rythme « normal » après un trop long congé parental. Il faut mettre l’accent sur les aides à la garde d’enfant (crèche, nounou, etc.) qui permettent de mener de front vie professionnelle et vie « maternelle » (et paternelle). La vrai égalité hommes-femmes, ce n’est pas de mettre les papas à la maison, c’est d’aider les mamans à travailler. A noter qu’une telle mesure n’apporterait rien aux mères isolées, qui sont celles qui ont le plus de difficulté aujourd’hui. »
« Je pense que cela pourrait nuire à l’évolution de mon plan de carrière », par Stephane G., 35 ans, Auxerre, responsable en fabrication.
« Cadre dans une société, j’occupe un poste de responsable qui ne peut être remplacé sur un laps de temps si court (six mois), je pense que cela pourrait nuire à l’évolution de mon plan de carrière, voire également déséquilibrer tout un travail mis en place au sein de ma société depuis quelques années. Personne n’est irremplaçable mais il y a des postes à risque en cas d’absence prolongée. Je ne suis pas réfractaire quant au congé pour les pères mais tout dépend également de la compensation en allocation. »
« Il faut laisser le choix sans pénaliser », par Jézékael L., 32 ans, Nantes, boucher.
« Je suis père de deux charmantes petites filles dont la plus jeune vient d’avoir six mois. J’ai pris mon congé paternel pour les deux, et j’ai eu la chance de pouvoir partager un temps partiel avec ma compagne pour la plus grande. Mais aujourd’hui, si l’opportunité m’était offerte de prendre un congé parental, je ne le prendrais pas. Je viens de me lancer dans une reconversion professionnelle qui ne me permet pas de prendre 3 mois ou plus de congés, tout en m’autorisant quand même à être très présent avec mes filles (je suis à la maison tous les après-midis).
Ma compagne est en congé parental en temps partiel et nous espèrons qu’elle pourra y rester jusqu’aux 3 ans de la petite dernière, puisqu’entre ses horaires et les miens nous arrivons à nous passer d’une nounou en limitant au maximum la perte de pouvoir d’achat. Donc non, je ne prendrai pas un congé parental même s’il était obligatoire. Mais en revanche si ma compagne devait reprendre plus tôt son activité en temps plein, nous serions obligés de confier notre dernière à une nounou, elle passerait donc moins de temps avec sa maman et pas plus avec moi, et nous devrions payer en plus le salaire de la nounou… Permettre aux pères de s’occuper plus des enfants est une excellente idée, mais chaque famille est différente, il faut donc laisser le choix sans pénaliser ceux qui ne peuvent pas le faire. »
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