Burn-out : « Attention à l’épuisement professionnel après le coronavirus ! »

15 avril 2020 | Burn Out, Evènements, Stress Travail et Santé

Alors que 45% des Français confinés sont contraints à l’inactivité, les risques de souffrances liées au travail ne disparaissent pas. Explication par l’avocate Sophie Reichman et le psychiatre Guillaume Fond.

Dans « Voyage au cœur de la souffrance, regards croisés d’un psychiatre et d’une avocate sur le burn-out et le harcèlement professionnel » (Editions J-C Lattès), Sophie Reichman, avocate en droit du travail au Barreau de Paris et le docteur Guillaume Fond, psychiatre à l’Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille, analysent les mécanismes du burn-out et du harcèlement et détaillent leur plan d’action pour y faire face. Mais que deviendront les bons petits soldats du télétravail et du chômage partiel après l’épidémie virale ? Quelles peuvent être les conséquences de cette expérience traumatisante pour les salariés confinés puis déconfinés ? Et quels sont les risques d’épuisement professionnels chez les médecins qui s’activent en première ligne du combat contre le Covid-19 ? Interview.

Sophie Reichman, vous êtes avocat au barreau de Paris. Quels sont les risques de cette période de confinement et de télétravail pour les salariés ?

S.R. Les salariés qui ne sont pas contraints au chômage partiel et qui œuvrent en télétravail disent multiplier les réunions en visioconférence depuis le début du confinement. La « réunionite » bat son plein. Cette organisation a pour principal défaut d’abolir encore un peu plus l’indispensable frontière entre vie professionnelle et vie privée. Cette situation peut être particulièrement préjudiciable aux salariés qui doivent veiller sur leurs enfants en bas âge et pallier la fermeture des classes. L‘expérience prouve que l’empiétement du travail sur la sphère familiale et privée est source d’épuisement professionnel.

Peut-on souffrir d’un épuisement professionnel même en étant confiné chez soi ?

S.R. Le confinement n’arrange rien. Le télétravail qui présente des vertus certaines, peut néanmoins conduire à une organisation pathogène du travail, une absence de marge de manœuvre, des injonctions contradictoires, une charge de travail intense, des repos insuffisants, une absence de reconnaissance statutaire, créant un sentiment d’échec et le burn-out. Le confinement et la brusque chute de l’activité peuvent malheureusement accroître ce sentiment. Les victimes de burn-out, qui sont de bons petits soldats, souffrent généralement d’un manque de reconnaissance. Or le travail à distance ou le chômage partiel nous font perdre le contact avec nos collègues. Il y a là une forme de distanciation et de désocialisation qui peut aggraver l’isolement voire la relégation de certains salariés. Les employeurs doivent en être bien conscients. Les risques psychosociaux ne disparaissent pas du fait du confinement. Pour l’instant, les salariés font preuve d’une résilience poussée à l’extrême.

Mais ils demeurent protégés si l’on compare leur sort à celui des salariés américains qui ont été victimes de licenciements en masse…

S.R. Heureusement le droit du travail et l’intervention de l’Etat par la prise en charge du chômage partiel nous protègent. Nos concitoyens n’ont pas eu à connaître un sort identique à celui des salariés de l’entreprise de trottinettes Bird récemment licenciés par une simple visioconférence de cinq minutes…

Avez-vous vu apparaître un contentieux particulier lié à l’état d’urgence sanitaire ?

S.R. Non pas encore et pour la bonne raison que les prud’hommes ne siègent plus ! Les audiences sont reportées sine die à l’issue du confinement. Mais il faudra attendre la reprise de l’activité des juridictions prud’homales pour en juger au fond ainsi que du développement des modes alternatifs de règlement des litiges qui trouvera peut-être un écho favorable à certaines situations.

Le déconfinement permettra-t-il de reprendre la vie professionnelle « comme avant » ?

S.R. Les employeurs peuvent être tentés de rattraper le temps perdu et vont vouloir mettre les bouchées doubles pour « sauver » les entreprises et minimiser l’impact de la crise. C’est là le danger principal : pour réussir la reprise d’activité, les entreprises ne doivent pas sous-estimer le choc post-traumatique de la crise sanitaire. Les salariés peuvent ressortir fragilisés voire très éprouvés de cette période. Pour obtenir d’eux ces efforts de productivité, il faudra plus que jamais instaurer un dialogue social intelligent et constructif, fondé sur la bienveillance, la communication et l’écoute active.

G.F. Ces dernières années, on a pu croire que l’intelligence artificielle (IA) allait pourvoir à tout. Cette crise qui n’a pas du tout été anticipée par les modèles statistiques de l’IA remet l’humain au cœur du travail. Les dirigeants, dans le monde hospitalier comme dans toute l’économie en général, devront reconnaître les difficultés rencontrées par la collectivité. Il faudra « faire le deuil » d’une épidémie qui a aussi eu pour conséquence d’empêcher les obsèques. Ce sera la condition d’une vraie reprise du travail.

S.R. Le véritable défi de toute crise est de transformer un obstacle en opportunité. Il faudra travailler sur l’acceptation que nous ne serons plus jamais les mêmes, il y aura un avant et un après la crise. C’est ce que nous enseigne la philosophie du Kintsugi que nous développons dans notre livre. On sort rarement plus fort, mais on peut sortir plus conscient et apprendre à faire couler de l’or sur ses blessures.

Quels sont les risques de burn-out chez les médecins ?

Docteur Guillaume Fond. Les professions à vocation comme les métiers de la santé sont plus exposées que d’autres au risque du burn-out, qui intervient quand on doute ou que l’on désespère du sens de son exercice professionnel. Médecin et psychiatre au Centre d’étude et de recherche sur les services de santé et la qualité de vie (CEReSS) de la faculté de médecine de Aix-Marseille, j’ai étudié ce problème. Or les soignants et dans une moindre mesure les aidants rechignent à consulter en cas de souffrance au travail. Il y a un déni de cette « affection des battants » chez les professions médicales : il s’agit de ne pas se plaindre et d’endurer.

Sophie Reichman. Le phénomène du burn-out chez les soignants n’est pas très bien renseigné. Mais selon une compilation d’études de 2018, la moitié des médecins disent ressentir un syndrome d’épuisement professionnel. Cette proportion est bien supérieure à la moyenne des autres secteurs et monte à 57 % chez les urgentistes. Et ce phénomène ne se limite pas à la France, une autre étude récente a rapporté un taux de 67 % de burn-out chez les 109 000 médecins évalués dans quarante-cinq pays.

Quels sont les symptômes du burn-out médical ?

G.F. Le burn-out se traduit par la perte du sentiment d’accomplissement que l’on associe en temps normal à la pratique de la médecine. Et une mise à distance du patient par la dépersonnalisation. Quand un praticien se met à parler de l’appendicite de la chambre 21, ou à traiter les patients comme des dossiers, c’est bien souvent le signe qu’il a mis en place un mécanisme de défense qui a pour fonction de tenir à distance le malade et sa souffrance. Le système médical français, présenté à juste titre comme l’un des plus performants pour les patients, ne protège pas suffisamment les médecins. Une analyse de plusieurs études publiée dans le Journal of the American Medical Association (JAMA) conclut qu’un médecin en burn-out a deux fois plus de chance de mettre en danger la sécurité du patient.

Jusqu’où peut aller l’épuisement professionnel des médecins ?

S.R. La première complication du burn-out est la dépression. En France, les professionnels de santé ont un risque de suicide plus élevé que celui de la population générale selon l’Institut de Veille Sanitaire : 34,3/100 000 contre 33,4/100 000 en moyenne.

Qui sont les médecins les plus exposés ?

G.F. Les jeunes internes. Ils sont en général les derniers arrivés dans le service, se voient confier les tâches ingrates, les patients « difficiles » et astreints à des gardes plus fréquentes. Moins expérimentés, ils sont en général plus stressés et dans l’incapacité de refuser les tâches qui leur sont confiées. En 2016, une étude menée par le Conseil national de l’ordre des médecins incluant 8 000 étudiants en médecine a révélé que 14 % d’entre-eux déclaraient avoir des idées suicidaires soit trois fois plus que la population Française. En 2018, nous avons publié une étude incluant 10 985 étudiants en médecine qui a montré que 12,2 % avaient un suivi psychiatrique, 20,5 % étaient des consommateurs réguliers d’anxiolytiques et 17,2 % des consommateurs d’antidépresseurs.

Mais les conditions de travail difficiles, la surcharge horaire et les épreuves que les soignants doivent affronter ne sont-elles pas aussi en cause ?

G.F. Oui, bien sûr. Depuis l’adoption de la loi Bachelot Hôpital, patient, santé et Territoires (HPST) de 2009, la logique gestionnaire des directions financières l’a emporté sur la logique médicale. La recherche d’économies a mis les organisations sous tension et créé de la souffrance au travail. Le monde hospitalier est aussi exposé aux difficultés sociales et traversé par la violence. D’après l’Observatoire national des violences en milieu de soins (ONVS), le sentiment d’insécurité ressenti par les personnels de santé est en augmentation.

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