M. le ministre de la Santé, combien de suicides de soignants attendrez-vous ? Sur combien de décès « évitables » de patients fermerez-vous, vous aussi, les yeux ?
Je suis médecin généraliste libérale. Aujourd’hui j’ai repris le travail, après 8 mois d’arrêt de travail pour burn-out, à 35 ans, comme nombre de mes collègues, libéraux ou hospitaliers, en souffrance, en silence, au travail. Le sens de cette tribune n’est pas de me plaindre, car, malgré tout, j’adore mon métier, et je reste convaincue de faire le plus beau métier du monde, mais je veux vous faire part de mon inquiétude et de ma désolation.
Si beau qu’il soit, ce métier nous consume. Les systèmes de santé sont à bout de souffle. L’hôpital est sur-saturé: malgré ça, les suppressions de postes continuent, de même que les coupes budgétaires et les fermetures de lits, au nom de l’efficience et de la rentabilité. La médecine de ville est méprisée, usée par l’augmentation de la population, inversement proportionnelle à la démographie médicale. L’accès au soin devrait être prioritaire, et pourtant, rien n’est fait. Je vous le demande: cette passivité est-elle un aveu de faiblesse ou un renoncement tacite à soigner?
On blâme les médecins de ne pas vouloir aller dans des zones isolées, les fameux déserts médicaux. Vous le savez mieux que moi: ces déserts, ce sont avant tout des déserts territoriaux que vous avez créés. Là où il n’y a plus de médecins, il n’y a plus de poste, de sécurité sociale, d’écoles, d’instituteurs, de centres culturels, d’emplois. Ce ne sont pas les médecins qui ont créé ces pôles désertiques, mais bel et bien l’État. Vous êtes responsables de créer lesdites zones, de les rendre de plus en plus nombreuses et d’en désengager l’État un peu plus chaque jour. Chaque actif y subit l’augmentation de sa charge de travail et la multiplication de ses tâches. Et bien non, ça ne tient plus… Il ne se passe pas un jour sans que je voie en consultation un patient en souffrance au travail, pas un. Comment, nous soignants, pourrions-nous rester insensibles à cette souffrance? C’est impossible. De médecins nous sommes devenus psychologues, avocats, assistants sociaux, conseillers conjugaux… Au quotidien, nous sommes devenus médiateurs, à la recherche de rendez-vous pour des accès plus rapides vers nos collègues spécialistes. Comment peut-on attendre 9 mois un rendez-vous d’hématologie? 12 mois un rendez-vous de psychiatrie?
Nous, soignants, allons mal. Nous allons mal parce qu’il est impossible de gérer en consultation le mal-être médico-psycho-social de la population. Parce que nous n’avons plus les moyens de faire ce que nous devons faire.
Monsieur le ministre de la Santé, vous qui êtes médecin, vous le savez: chaque individu devrait faire ce pour quoi il est formé. Les urgentistes ne devraient gérer que les urgences vitales, soigner et pas passer des heures à chercher des lits d’aval. Les médecins du travail devraient encadrer, dépister, protéger les salariés au regard des conditions réelles de travail. Les médecins scolaires devraient faire de l’éducation au soin, de la prévention, de l’information. Il n’y a plus de médecine scolaire, peu de médecins du travail, plus assez d’urgentistes, plus assez de médecins, tout court. L’hôpital quant à lui ne peut –et ne doit– tenir sur la seule bonne volonté de ses acteurs, débordés, pressurisés, en sous-effectif, usés de faire courir des risques aux patients pour des motifs économiques ! Les généralistes devons en ce sens multiplier les casquettes, en plus de la pédiatrie, la gynéco, la médecine des voyages, la médecine préventive… Nous passons notre temps à palier les carences d’un système que vous continuez à essorer.
Nous écoutez-vous seulement? Tous, nous sommes à bout de souffle! Comment des chefs de service en viennent-ils à démissionner de postes qu’ils ont pourtant cherché à atteindre tout au long de leur carrière? Comment faire tenir un système en manque de moyens avec des demandes de soins qui explosent? On ne peut pas faire le plus avec le moins, c’est impossible.
Je vous en conjure, Monsieur le Président, Monsieur le ministre, il en va de votre responsabilité: oserez-vous faire réellement de la santé une cause nationale?
Les soignants veulent et doivent soigner… et non pas bricoler pour pallier des carences d’approvisionnement, de personnels, de matériels, de lit, de surveillances.
Nous, soignants, allons mal.
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