L'amertume au risque du ressentiment

Chroniques

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D’où vient l’amertume ? C’est par cette question que s’ouvre le dernier livre de Cynthia Fleury, Ci-gît l’amer (Gallimard, 2020). Le sous-titre, Guérir du ressentiment, sonnerait comme un manuel de développement personnel si l’on ne connaissait l’attention que l’auteure porte à la question du « soin » (1). S’il faut en guérir, le ressentiment est donc une maladie ? Oui, de l’individu et de la démocratie.

Nous l’avons tous éprouvé un jour et notre société le produit à doses massives. Il peut être juste de passage dans notre vie – qui n’a pas eu l’expérience des passions tristes : colère, sentiment d’injustice, envie, jalousie… ? – mais il devient toxique lorsqu’il se fait envahissant, général, se prolonge en mépris de l’autre, de soi, s’installe dans la rumination et se cristallise dans une posture victimaire-agressive qui devient notre seule façon d’être au monde.

La dynamique du ressentiment

Humilié, revanchard, dénigrant, insécurisé, haineux,… Avec les mots recensés dans la première partie du livre, on pourrait faire une internationale des ressentimistes. Plus intéressante est la psychodynamique qui caractérise « l’homme du ressentiment » : son mode de fonctionnement, son rapport aux autres, ses obsessions…

Il exige le respect mais ne le pratique pas, sur le mode moi qui ne te respecte pas et qui ne respecte rien, j’ai droit au respect. La responsabilité ? Il la délègue : c’est toujours de la faute des autres, jamais la sienne. Son obsession égalitaire lui fait ressentir toute inégalité comme une injure, voire une blessure. Car là se joue sa peur de ne pas être à la hauteur. Alors il compare. Par peur de n’être rien, pour vérifier qu’il est meilleur…ou inférieur, et dans ce second cas, dénigre l’autre pour invalider la comparaison.

Au travail, il se sent mal compris, mal apprécié, mal récompensé. Pratiquant le grief pour le grief, il est dans une plainte régressive qui lui permet de s’affranchir à bon compte de ses difficultés ou de ses échecs. D’une manière générale, il se reconnaît peu de devoirs, il émarge surtout au registre des droits.

L’homme du ressentiment est dans ce mouvement pendulaire qui caractérisent le mode passif-agressif, oscillant entre complaisance victimaire et mépris actif de l’autre. Il évite le conflit ouvert qui risquerait de mettre à jour ses propres insuffisances. Vous voulez clarifier ? Mais il n’argumente pas. En guise de réponse, vous entendrez Je me comprends, ça me suffit ! ou Je ne suis pas le seul à le dire ! Il préfère se réfugier dans une attitude faussement auto dépréciative – on n’est que des pantins – ou clairement agressive – tous des cons.

Une impossible réparation

Ce portrait peu glamour nous ferait presque oublier que le ressentiment s’enracine dans une souffrance initiale, un re-sentiment. La question du soin se pose, mais c’est une clinique difficile, décourageante selon la psychanalyste. Car l’homme du ressentiment ne consent pas au soin ; il soupçonne, verrouille (j’en n’ai pas besoin), fait échouer (avec le thérapeute, c’est pas ça, pas confiance). Il y a l’idée d’une « impossible réparation » dans le ressentiment, quelque chose de non digérable qui revient comme un reflux gastrique sous la forme d’une rumination. Tout est ramené à la souffrance endurée, au tort subi (2). Irréparable, le ressentiment relève d’une logique du désespoir. Il ne confronte pas, il ne débat pas, il ne discerne pas, il ne fait pas de compromis… Il est, de ce fait, anti-démocratique (3). Où l’on entre dans la dimension collective du ressentiment.

Lire la suite, « Foules ressentimentales » et « Antidotes » sur le site www.cr-psycho-travail.com

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