Objectifs annuels : Marnix veut innover.

18 décembre 2012 | Chroniques des Managers

Voici le deuxième épisode des Chroniques des Managers, écrites par Don Nicola, qui nous fait rentrer, chronique après chronique, dans les contradictions, les difficultés et les états d’âme de ces managers qui sont aussi des salariés…
La Hollande. Un pays d’hommes charmants et de belles femmes, de voyageurs, toujours en quête de nouvelles terres, la leur étant trop petite depuis que les peuples voisins les ont confinés dans un drap de plage, toujours en lutte avec la mer du Nord.
Ils sont partis en nombre à la conquête de l’Afrique, de l’Asie … toujours plus loin. Et dans tout nouveau territoire, le plus important était de planter leur drapeau, s’approprier de la nouvelle région, pour vaincre la frustration et se venger du destin qui a voulu les écraser dans 40 000 km2 de terres et d’eau, moins que la seule Aquitaine ou les Midi-Pyrénées.
Amsterdam, Rotterdam, La Haye, Utrecht, Eindhoven … des villes fières de leur propre commerce, de leur agriculture et de leurs industries. A Rotterdam, dans l’une des plus puissantes réalités industrielles néerlandaises, travaille Marnix, Chef de Produit dans une branche clé de l’entreprise. Il occupe cette place depuis quelques années et, comme beaucoup d’autres profils à haut potentiel, il souhaite évoluer vers plus de responsabilités. Il a toujours eu le sentiment d’être sous-utilisé dans cette position, où il passe le plus de temps à courir après les gens pour récupérer des informations, plutôt qu’utiliser ses compétences dans des tâches plus profitables pour l’entreprise – et intellectuellement plus motivantes pour lui.
A la tête de sa division est arrivé, depuis environ un an, un Directeur Général allemand, Siegfried, en provenance d’une autre branche: Marnix l’avait déjà connu quelque temps auparavant, dans le cadre d’une collaboration entre les deux entités. Siegfried est un vrai homme d’affaires ; il aime les risques et il est très ambitieux. Il est arrivé à Rotterdam avec un mandat très clair : vendre une partie de la Division, faire partir avec elle certains dirigeants de la vieille école hollandaise, et donner un nouvel élan aux autres activités. Il a une grande expérience, Siegfried, et il sait qu’il a besoin d’employés de confiance pour réussir dans son objectif. Donc il convainc deux autres allemands à le suivre dans l’aventure: Olav, en tant que Directeur Financier, et Otto, en tant que Directeur du Business Development.
Pendant les premiers mois de sa mission, Siegfried arrive à vendre, comme prévu, la branche de l’entreprise qui n’intéressait pas le groupe, après avoir mis à sa tête les Dirigeants dont il devait se débarrasser.
Mais à ce stade, il doit maintenant commencer à construire.
Malheureusement, des difficultés se présentent: les ressources que le directeur général lui avait promises ne lui sont pas assignées. Les raisons ne sont pas claires, mais Siegfried se retrouve dans l’impossibilité d’atteindre les objectifs fixés. Il doit inventer quelque chose. Et lorsqu’un dirigeant doit faire quelque chose de nouveau, mais n’en a pas les moyens, il fait ce qu’il y a de plus facile et de moins coûteux, qui va lui permettre de montrer à tous (Actionnaires et Employés) qu’il travaille activement pour apporter des véritables changements : en bref, il change l’organisation.
C’est toujours le même jeu, dans lequel les noms restent les mêmes, mais changent de fonction. Personne n’y perd, personne n’y gagne, mais on montre que « les choses changent » …
Siegfried demande à Otto de réfléchir sur la meilleure structure pour atteindre les objectifs de la «nouvelle» Division. Et Otto, qui n’est certainement pas modeste, décide que cette entité n’a aucune raison de se structurer différemment des autres : donc, la meilleure organisation est certainement celle qui existe déjà dans les autres Divisions du groupe.
Mais Otto « oublie » les spécificités de cette branche: la petite taille, les hautes compétences technologiques demandées, une coopération étroite avec les clients …
Pendant que ces changements ont lieu, Marnix n’oublie pas ses ambitions: en profitant des bonnes relations qu’il entretient avec Siegfried, il lui demande un rendez-vous pour lui parler de ses aspirations.
Siegfried le reçoit avec plaisir, l’écoute et lui donne un feedback intéressant: «Tu n’es pas le seul qui cherche à évoluer, mais il y a des possibilités pour chacun d’entre vous. Je te suggère de parler à Otto, qui est déjà au courant de tes demandes. »
Marnix le remercie et s’en va. Mais la superficialité qu’il a ressenti dans l’échange le laisse songeur: «De toute façon, le fait qu’il soit de mon côté ne peut que m’aider, quoi qu’il fasse … au moins, je l’espère! »
Quelques jours plus tard il se rend au bureau d’Otto: « Je te dérange? Si tu as cinq minutes je voudrais te parler… »
– Bien sûr, Marnix, entre!
Marnix lui explique la raison de sa visite, ce qui ne surprend pas Otto: «Tout d’abord, ne t’inquiète pas: je suis en train de travailler sur ce sujet et je dois juste décider entre deux options pour toi. Dès que je finalise, je te fais savoir. Mais tu restes tranquille, d’accord? »
– Merci, c’est très gentil. J’ai vraiment besoin d’une position de Direction: je suis trop sous-utilisé aujourd’hui !.
– Je vois … comme je te l’ai dit, tu ne dois pas t’en faire : j’ai la solution, je dois juste la finaliser!
– Merci, Otto.
Le chef de Marnix, Arian, va aussi changer de fonction dans la nouvelle organisation, et il souhaite que Marnix trouve la place qu’il mérite. Ils se rencontrent le lendemain: «Alors, Marnix? As-tu des nouvelles? »
Les deux s’entendent très bien: Marnix lui parle de ses discussions avec Siegfried et Otto, Arian l’écoute, comme il l’a toujours fait. Mais aujourd’hui il est très sérieux, comme s’il était sur le point de dire quelque chose d’important et difficile.
« Je pense que la première occasion a laquelle Otto fait référence est la tête de l’Innovation ; et la deuxième est la Responsabilité Commerciale de l’un de nos deux principaux clients néerlandais. »
– Si je ne me trompe pas, la responsabilité de l’Innovation est un poste de direction, comme je l’avais demandé à Siegfried et répété à Otto … Le Responsable précédant et celui encore avant étaient tous les deux des Directeurs. Au contraire, le Commercial n’est que un Manager: ça ne changerait rien pour moi, c’est exact ?
Arian s’attendait cette réponse: « Mais peut-être que tu es plus adapté à un poste de Commercial, un poste de business. »
– Je ne sais pas, Arian. Je dois y réfléchir …
Mais Arian comprend ne pas avoir été en mesure de convaincre Marnix. Quand il sort de son bureau, il ne sourit pas comme il fait d’habitude.
« Arian s’expose personnellement pour me convaincre à prendre une position plutôt qu’une autre, mais pourquoi? La seule raison c’est que Wilfred l’a poussé à le faire. »
Wilfred. Un personnage important dans la Division: Anglais, bien vu par tous, il aspirait au poste de Siegfried, mais il ne l’a pas eu. Pourtant, il ne s’est pas démotivé: il continue son travail de patience pour atteindre son but. Mais pour réussir, lui aussi a besoin d’hommes de valeur, et Marnix est l’un de ceux-ci. Si Marnix devient Directeur de l’Innovation, alors il va reporter à Otto, un homme clé de Siegfried. S’il prend le poste de Commercial, il reste sous Wilfred.
Marnix sait tout ça, et il connaît parfaitement la guerre politique entre les deux : il sait que Siegfried est le plus fort ; en plus, il lui propose un poste de Directeur. Le choix semble facile …
Quelques jours plus tard Marnix prend un jour de congé pour le passer avec sa famille. Il est dans le métro avec son fils lorsque le téléphone sonne: « Salut, Marnix: c’est moi, Otto. C’est juste pour te dire que nous avons décidé et que tu es le nouveau Responsable et de l’Innovation! »
– Merci, Otto: ca me fait très plaisir. Merci beaucoup!
Marnix est heureux : il a finalement obtenu le poste qu’il attendait depuis longtemps. Il est Directeur.
« Enfin, le vent semble changer » dit-il en se tournant vers son fils: « Je savais que cela arriverait un jour, ça arrive toujours … »
Au début de la semaine suivante, le service du personnel envoie les e-mails avec les communications officielles: on peut voir toute de suite que Otto a élargi le périmètre de Responsabilité du Business Development, son département ; sous lui on trouve Lubbe, qui devient Directeur du Product Marketing, comme Marnix savait déjà ; après il y a Ludwig, son ami, qui est nommé Responsable Technique ; Justin, un Anglais du courant de Wilfred, devient Directeur Commercial New Business ; enfin, au bas de la page, on peut lire que Marnix prend le poste de Manager de l’Innovation.
« Manager…? Nous avons toujours parlé de Directeur… »
Marnix ressent une forte tension dans son ventre et un frisson froid lui prend la tête, comme chaque fois qu’il se sent victime d’un coup bas. La sensation est si forte qu’il doit se contrôler pour ne pas commencer à haleter : il attendait le titre de Directeur et on lui avait laissé entendre que cette fois était la bonne.
Il lit la description de sa fonction: en bref, il est noté qu’il a « la tâche de superviser les nouveautés technologiques et de proposer de nouvelles solutions techniques … ».
« Techniques … mais c’est une position où il faut proposer de nouveaux produits, démontrer les avantages financiers de nouveaux développements, faire des analyses de marché, discuter avec les clients, présenter une Stratégie Produit: l’aspect technique est géré par Ludwig … Je suis un homme d’affaires et de stratégie … »
Il se sent trompé: il est vrai, dans l’organisation il est monté d’un niveau, mais il reste un Manager et, surtout, technique, s’il faut croire à ce qui est écrit dans la communication.
Il essaye de se calmer, en se laissant tomber en arrière sur sa chaise ; regarde dehors, se mord les lèvres, prend une grande respiration…
Après quelque minute, il décide de téléphoner à Otto.
« Bonjour Otto, je ne te dérange pas? Je voulais juste te dire que la nouvelle organisation vient d’être communiquée, avec la définition des postes… »
– Oui, je pense que s’était prévu pour ce matin … mais je n’ai pas eu le temps de vérifier… tout comme prévu, non?
– Bah, honnêtement, pas vraiment… nous avons toujours parlé d’un poste de Direction et je me retrouve avec un poste de Manager …
– Je ne pense pas que nous avons parlé d’une position de Directeur: plutôt d’une évolution vers plus de responsabilités et vers un niveau plus élevé dans l’organisation.
– En vérité, avec Siegfried nous avons toujours parlé d’un poste de Directeur … et même avec toi, l’autre jour…
– Ce que Siegfried et toi vous vous êtes dits, cela je ne le sais pas : je sais ce que je t’ai dit et je n’ai jamais parlé d’un poste de Directeur.
– Mais cette fonction a toujours été donnée à des Directeurs: les deux personnes avant moi dans ce poste étaient Directeurs! Pourquoi maintenant n’est-il plus un poste de Direction? »
– Il s’agit d’une position avec certaines responsabilités: pour cette raison elle peut être donnée à des Directeurs ; dans ton cas, tu n’es pas un Directeur.
– Mais en Amérique du Nord, la personne qui a la même responsabilité est un Directeur…
– Ce qu’ils font en Amérique ne me regarde pas: mon équivalent là-bas est Vice-président, alors que je ne le suis pas … Pour devenir Directeur tu dois démontrer ta capacité à assurer la nouvelle fonction: dans ce cas, tu auras le titre de Directeur. Pour moi tout ça est normal. D’accord ?
– Okay … Merci …
« Espèce de salaud! » pense, Marnix: « Pourquoi a-t-il fait ça ? Peut-être qu’il croit vraiment à ce qu’il raconte, mais ce n’est pas ce qu’ils m’ont laissé entendre! Quels connards! »
Marnix sait très bien que, dans ces conditions, il risque de se démotiver et de montrer son mécontentement, en réagissant négativement à ce que la direction considère toujours une « promotion ». Mais il est déçu.
La semaine d’après, les nouveaux noms de l’organisation se retrouvent en Allemagne, où il y a quelques-uns des bureaux les plus importants de la société: l’un d’eux est le bureau principal d’Otto.
Les réunions commencent, mais l’ambiance n’est pas agréable. Il y a ceux qui lèchent les pieds à Otto, ceux qui se laissent manipuler, et il y a Marnix, qui n’avale toujours pas la déception.
Pendant une pause, il demande à Otto de lui parler de la définition de sa fonction et met l’accent sur la description très, trop technique. Otto commence à se lasser. C’est un homme dur, incapable de se remettre en cause, et ce néerlandais commence à l’ennuyer: «Ecoute, si tu n’es pas satisfait, t’as encore le temps d’aller voir Wilfred et te faire donner une autre fonction! »
Pendant les semaines et les mois qui suivent, les choses ne s’améliorent pas: lors des voyages d’affaires en Europe, Marnix préfère aller dans une chaîne d’hôtel qui coûte quelques Euro de plus, mais qui offre des services de niveau supérieur, tandis que Otto lui demande de suivre les règles et se loger dans les hôtels recommandés par la société: Marnix invente donc des excuses, mais Otto s’en aperçoit.
Un jour, Marnix organise une réunion à trois, avec Otto et Ludwig: rendez-vous à 9h00. Il est tellement démotivé qu’il arrive en retard: Otto l’attend pour l’agresser: « Si tu ne penses pas pouvoir être disponible à 9h00, alors invite pour 9:15! Cela fait un quart d’heure que nous t’attendons! »
Puis il vient le moment où Otto met l’accent sur la nécessité d’impliquer les Universités dans leurs activités d’Innovation; Marnix a les pieds bien sur terre, il connaît son business, et préfère les sociétés d’ingénierie qui ont des excellentes idées et nécessitent d’un partenaire reconnu pour les mettre en place.
Un climat très peu agréable, décidemment. Mais – processus oblige – c’est le moment de définir les objectifs individuels de Marnix pour l’année déjà commencée. D’habitude c’est le Manager qui devrait les proposer, pour les revoir après avec son Directeur ; mais Otto fait ça tout seul dans son coin et envoie le document à Marnix juste pour qu’il l’accepte.
Un peu surpris, Marnix relit le fichier :
« 1- Créer deux ou trois nouveaux produits ;
2- Appliquer le Processus officiel du groupe à toutes les activités d’Innovation ;
3- Assurer l’alignement avec les autres Divisions ;
4- Assurer la synergie avec les autres régions ;
5- Générer de nouvelles idées »
Globalement il n’y a rien d’étrange, juste il faut avoir les ressources nécessaires pour faire tout cela.
Après un petit échange, les deux s’accordent à ajouter cette condition dans la version finale du document.
La situation reste regrettable, frustrante, tendue. En dépit de ça, Marnix se donne beaucoup dans son travail: il organise des Brainstormings à travers l’Europe, collecte des idées, les filtres, vérifie leur faisabilité, fait des tests de marché, rencontre des clients. Mais dans tout ça, Otto ne lui donne pas d’importance, en se concentrant plutôt sur le travail de Lubbe (qui lui est indispensable) et de Ludwig, qu’il présente toujours comme la personne la plus importante pour le département. Justin est également considéré, car politiquement lié à Wilfred… celui qui est le pire positionné, c’est toujours lui, Marnix.
Mais Marnix continue. Il y a trois branches dans lesquelles il structure l’Innovation: la sécurité, l’information et les partenariats avec les clients. Il dispose de trois ressources qui travaillent dans la sécurité et avec elles il peut organiser très bien les taches, construisant des propositions concrètes et rencontrant des partenaires potentiels. L’équipe prépare aussi un rapport magnifique que Marnix transmet à Otto, mais sans aucun retour.
Ensuite, il y a la partie Information: dans ce domaine, Marnix est aidé par une ressource très compétente mais un peu caractérielle: Christiaan. Il avait été embauché par Wilfred, qui successivement n’a pas été en mesure de le gérer ; alors il l’a transféré à un collègue de Marnix, avec qui il a eu d’autres problèmes. Enfin, il a atterri chez lui.
C’est un petit génie, un visionnaire. Comme tout visionnaire il voit ce que les autres ne voient pas, et il le dit. Avec Marnix il s’entend bien et Marnix l’aide pour qu’il puisse s’exprimer et faire connaître sa vision du marché et des produits. Mais ce n’est pas la même vision des autres équipes, celles constituées par des gens qui sont probablement plus des politiciens que des visionnaires : ceux qui font ce que les dirigeants attendent d’eux, sans jamais les contredire. Et cette divergence coute chère à Marnix et Christiaan, qui bientôt ne sont plus bien vus par certains de leurs collègues.
Le troisième volet est créé de façon presque inattendue: lors d’une exposition internationale, le CEO du groupe rencontre le numéro un d’un client très important. Ils commencent à parler d’Innovation et finissent par décider de lancer un projet ensemble. Mais ils ne disent pas sur quoi.
Les choses n’avancent pas comme les grands chefs avaient imaginé, au contraire…
Mais Marnix sait ce qu’il faut proposer: un tout nouveau produit qui vient d’être pensé par la concurrence, mais que seulement lui connait. C’est un succès. Il sort tout et tous de l’impasse, et d’une situation décidement très embarrassante: collègues, client, CEO…
En dépit de ces succès évidents, Marnix continue à subir l’indifférence de Otto et, encore pire, même celle de Wilfred : l’anglais ne lui montre aucun intérêt, sans doute parce qu’il est encore blessé par le choix de Marnix de suivre le courant de Siegfried. Marnix est déçu, mais pas inquiet.
Jusqu’à ce qu’un jour l’ambition de Siegfried se heurte avec la position du CEO: celui-ci lui avait promis une promotion importante qui n’est jamais arrivée. La démission de Siegfried est communiquée soudainement, inattendue pour tout le monde, et inquiétante pour la solidité future de la Division.
Mais le stress que Marnix est en train de vivre avec Otto lui fait prendre la nouvelle comme une libération: maintenant, Otto n’est plus soutenu par Siegfried, et n’aura plus les moyens de le stresser.
« Et avec Wilfred il n’y aura pas de problème : dans les derniers mois je lui ai montré que je le respecte et que je veux travailler à nouveau avec lui. »
Mais Marnix se trompe. Complètement.
Comme prévu, Wilfred prend donc le poste laissé vacant par Siegfried, pour atteindre ce qu’il cherchait depuis longtemps. Contrairement à ce que Marnix et d’autres pouvaient imaginer, Wilfred ne met pas Otto à la porte: il est malin, Wilfred, il n’est pas pressé. Avant de virer quelqu’un, il veut bien l’exploiter au maximum.
Marnix continue son travail, faisant face à quelque friction avec Otto, mais sans trop y penser: maintenant il se sent beaucoup plus à l’aise. Il est moins stressé, il a beaucoup moins peur.
Il a toujours ces quatre personnes qui travaillent avec lui, tandis qu’il en aurait droit à 10, mais la Direction a beaucoup d’expérience pour offrir un budget inutilisable: environ un million d’euros, dont seulement 400 000 utilisés. Marnix en est conscient, mais il sait que le moment est délicat et ne veut pas faire trop de bruit.
Un jour, Marnix organise une réunion avec un client important: bizarrement, la veille, Otto lui dit que sa présence est nécessaire à Rotterdam le lendemain. Il est clair qu’ils ne veulent pas qu’il y aille à la réunion. Marnix comprend que la décision vient de Wilfred. Il accepte sans rien dire.
Ensuite, il y a le sommet de trois jours, organisé chaque année en Juin par Wilfred, pour réunir les Managers de la Division. Marnix présente ses projets, sous l’indifférence totale de Wilfred… Il essaye de faire une blague, pour le faire réagir, mais cela ne change rien: Wilfred est impassible.
Après les présentations il y a un atelier. Marnix essaie de contribuer, mais une collègue, elle aussi du courant de Wilfred, lance le débat dans une autre direction sans tenir compte de ses propositions. Cette provocation trouve un terrain fertile dans l’esprit inquiet de Marnix: il s’énerve au point de boycotter les échanges et devenir sarcastique. Après quelque minute, Otto s’approche, lui disant que Wilfred aimerait qu’il se calme un peu…
Un mois plus tard, Otto organise une réunion extraordinaire avec tout son premier niveau: Lubbe, Ludwig, Justin et Marnix. Il va droit au but: il démissionne et quitte le groupe.
« Enfin! », pense Marnix, « il était temps… encore trois mois de patience, les trois mois de son préavis, et je serai enfin tranquille ! ».
Le mois de Juillet arrive, le mois des évaluations annuelles. Marnix effectue sa propre auto-évaluation, comme le processus le demande: pour chaque objectif il explique la manière dont il l’a réalisé et ce qu’il a fait pour obtenir les meilleurs résultats. Il est vraiment heureux de la façon dont, malgré le manque d’intérêt de la Direction, lui et son équipe ont réussi à faire avancer les choses: Co-innovation avec le client, développement de la sécurité, améliorations de l’information: son année a été excellente.
Il envoie la proposition à Otto, qui ne devrait avoir aucun problème à l’approuver, surtout maintenant qu’il est en train de quitter la société.
Otto ne répond que deux semaines plus tard, en définissant sa performance comme globalement insuffisante. Marnix pense à une erreur, mais ce n’est pas d’une erreur qu’il s’agit.
Psychologiquement fatigué par l’année passée à se battre, Marnix a une chute: il avait besoin d’une reconnaissance, pas d’un KO.
Plusieurs échanges se succèdent entre lui et Otto, des échanges qui ne conduisent à rient. Les deux se rencontrent, chacun exprimant ses propres idées et restant sur leurs positions.
Otto explique comment il voit les résultats de Marnix: « Création de 3 produits… okay … Application du Processus… pas tout à fait… Alignement avec les autres Divisions… d’accord… Alignement avec les autres régions… oui, mais beaucoup à améliorer dans la communication et la proactivité… Générer de nouvelles idées… oui dans l’entreprise, mais pas en dehors. »
Marnix répond sur le même ton: «Ton appréciation est totalement subjective et ne tient absolument pas compte de ce que j’ai vraiment fait… pour les nouveaux produits j’ai atteint l’objectif à 100% … pour le processus, ce que tu dis n’a aucun sens! C’est moi, moi qui ai travaillé pour le définir et l’appliquer…! En ce qui concerne la coopération avec les autres Divisions, nous avons obtenu d’excellents résultats! … J’ai coopéré énormément avec les autres régions et tu le sais! … Et les idées générées sont remarquables! »
– Je ne suis pas d’accord, et puis il y a les commentaires au sujet de ton comportement qui ne sont pas très positifs…
– Les commentaires de qui?
– C’est confidentiel: ce sont les commentaires provenant de l’analyse à 360°, c’est-à-dire fournis par plusieurs de tes collègues : ils disent que tu dois être plus précis, plus impliqués en dehors de ton périmètre, moins émotionnel, plus enthousiaste, plus dynamique…
– Je comprends maintenant: tu es en train de me juger en utilisant comme mieux tu préfères les feedbacks que certains de mes collègues t’ont fournis… des collègues qui ont été choisis ad hoc, je suppose! Comme ceux qui n’ont pas aimé tout ce que Christiaan et moi-même nous avons dit… eh bien, c’est votre façon de vous venger parce que je n’ai pas donné la priorité à la diplomatie et à la politique, mais plutôt à l’intérêt réel de l’entreprise!
– Non, ce ne sont que des données objectives. Rappelles-toi, par exemple, lorsque Wilfred est venu me voir pour que je te demande de te calmer, pendant les trois journées du sommet: il s’agit d’un exemple typique de ton comportement peu correct.
– Il s’agit d’un cas unique, distinct du reste…
– C’est l’image que tu donnes de toi.
Il n’y a plus rien à dire: Otto a déjà décidé. Mais quel intérêt peut-il avoir à lui couper les jambes à la veille de son départ du groupe? Il a démissionné, Otto : dans quelques jours il ne sera plus là ! Pourquoi fait-il ça?
Marnix ne comprend pas.
Il fixe alors un rendez-vous directement avec Wilfred et le jour suivant il va le voir pour lui raconter toute cette histoire. Mais quand il se présente à son bureau, Marnix se rend compte que Otto a été invité aussi à la réunion. Une fois de plus il ne comprend pas: il cherche l’aide à Wilfred qui invite Otto, exactement celui dont Marnix voulait lui parler…
Les trois s’assoient et les échanges commencent. Wilfred débute par une phrase qui bat en sarcasme toutes celles de Marnix: «Si je comprends bien, il semble qu’il y ait un problème entre vous deux… !». Entre vous deux… l’un, Otto, ancien bras droit de son principal adversaire, Siegfried, et l’autre, Marnix, qui l’avait « trahi » pour suivre l’allemand. Un problème entre eux, ceux qui, seulement six mois plus tôt, faisaient équipe « contre » lui, Wilfred, qui maintenant est devenu le grand patron.
Le meeting continue, avec Otto et Marnix répétant à nouveau les mêmes choses. Wilfred, appelé à jouer l’intermédiaire, affirme que la seule chose qu’il peut faire, c’est de refaire le 360 ° avec d’autres personnes: la moitié d’entre eux doit être choisie par Marnix, l’autre moitié par Otto. Pour le reste, il ne peut rien faire de plus, parce qu’il n’est pas au courant de ce que Marnix a fait au cours de l’année écoulée…
« Toutefois, sache que si tu n’es pas d’accord avec l’évaluation, tu peux toujours écrire tes commentaires et ton point de vue dans le document officiel. »
Marnix perd son dernier espoir: Wilfred, plutôt que de le défendre comme il l’espérait, est en train de se mettre à l’écart… mais pourquoi?
Il accepte le nouveau 360° et quitte la pièce. Otto le suit, essayant d’être gentil avec lui… Encore plus étrange!
Le lendemain se rend compte que faire un autre 360° de cette façon signifierait continuer à s’acharner contre quelque chose de déjà décidé : il choisit de laisser tomber mais d’écrire des commentaires détaillés avec son point de vue dans le document d’évaluation officielle. Il le fait.
Il signe le document et l’envoie à Otto. C’est la première fois de sa vie qu’il reçoit une évaluation insuffisante.
Deux jours après, Wilfred le convoque, avec Otto, dans son bureau: Marnix n’en connait pas la raison mais bien sûr il accepte, et il y va.
« J’aimerais qu’on oublie ce qui s’est passé et qu’on pense au futur », dit Wilfred. «Je voudrais te proposer une nouvelle position pour développer le business avec des nouveaux clients. C’est une position intéressante pour laquelle j’ai besoin d’une personne très compétente, avec d’excellentes capacités de communication et un esprit proactif. »
-Je te remercie, Wilfred… mais même la position dans l’innovation avait l’air très séduisante, sur le papier… et de quels clients parles-tu? De ceux qui n’ont jamais voulu travailler avec nous? Ou des marchés adjacents où la Société n’investira jamais? Je pourrais être intéressé, mais je voudrais que tu ne te fasses pas trop d’illusions sur les possibilités réelles … avant tout, je voudrais avoir des objectifs réalisables…
Wilfred sent les piques que Marnix lui lance, mais il faut bien plus que ça pour le déstabiliser: « Je sais que c’est une mission difficile, mais je voudrais qu’on essaye. Autrement nous ne faisons jamais d’efforts pour développer d’autres affaires. Alors, qu’est-ce que t’en penses? Tu acceptes ? »
– Je dois y réfléchir : combien de temps me donnes-tu?
Wilfred se contrôle: il est en train de lui offrir une chance de revenir dans son courant, dans son équipe, et Marnix lui demande combien de temps il a pour décider… ?
– Disons deux jours.
– J’ai besoin d’une semaine: il s’agit d’une décision importante et je ne vais pas faire l’erreur de l’année dernière.
Wilfred change d’expression, il se contrôle encore, mais avec difficulté: « D’accord, une semaine. »
Marnix sort du bureau, en pensant que pendant tout ce temps Otto n’a pas ouvert la bouche.
Il laisse passer deux jours, mais il sait qu’il n’a pas d’autre choix : il appelle Wilfred.
« Je sais que tu as besoin de ma réponse avec une certaine urgence, j’ai donc décidé de me dépêcher et de t’appeler. »
– Ne t’inquiètes pas, si tu as besoin de plus de temps, je peux attendre…
– Merci, tu es gentil, mais j’ai décidé d’accepter ta proposition.
– Très bien, parfait. Alors merci de m’avoir appelé et à bientôt!
Tout d’un coup Marnix y voit clair : il comprend. Wilfred a manœuvré tout de l’extérieur. Il a obligé l’imbécile et incompétent Otto à l’évaluer négativement pour le mettre sous pression, l’apprivoiser et lui faire faire ce dont lui, Wilfred, avait besoin. Otto n’avait pas le choix: il voulait laisser une image positive à la Direction du groupe, leur secteur d’activité étant très restreint. Il a obéi. Il s’est également vengé un peu du comportement de Marnix, mais ce n’est pas lui qui a décidé. Wilfred a tout manipulé dès que Siegfried est parti…
Quelques semaines plus tard, il est invité par la chef du personnel, Linda, pour l’habituelle communication de l’augmentation annuelle : « Salut, Marnix. Comme tu peux le voir je suis seule, Wilfred n’a pas été en mesure de venir et il s’en excuse. Voici ton enveloppe avec la communication salariale. »
Marnix l’ouvre: «… nous vous informons que pour l’année prochaine votre salaire annuel ne changera pas et nous vous confirmons le montant actuel… »
Il se tourne vers Linda: « Pas d’augmentation? Zéro pour cent? »
– Pourquoi, tu ne t’y attendais pas? Tu as eu une mauvaise évaluation…
– Non, je ne m’y attendais pas … l’évaluation de Otto n’était pas correcte! J’ai ajouté une longue liste de commentaires pour le prouver!
– Je sais, mais c’est son appréciation qui compte.
– Pourquoi, c’est qui Otto pour que son jugement soit si important?
– C’est ton chef, Marnix… ton chef.

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