Les réserves de l’employeur sur l’accident du travail

Dans la Loi

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Le droit de l’employeur à émettre des réserves sur les circonstances ou la réalité d’un accident du travail est reconnu par l’article R441-6 du code de la sécurité sociale, et constitue en quelque sorte la « contrepartie » à son obligation de déclarer les accidents du travail, sans qu’il puisse à aucun moment se faire juge de l’opportunité de déclarer.

Article R441-6 : lorsque la déclaration de l’accident émane de l’employeur, celui-ci dispose d’un délai de dix jours francs à compter de la date à laquelle il l’a effectuée pour émettre, par tout moyen conférant date certaine à leur réception, des réserves motivées auprès de la caisse primaire d’assurance maladie. Lorsque la déclaration de l’accident émane de la victime ou de ses représentants, un double de cette déclaration est envoyé par la caisse à l’employeur à qui la décision est susceptible de faire grief par tout moyen conférant date certaine à sa réception. L’employeur dispose alors d’un délai de dix jours francs à compter de la date à laquelle il a reçu ce double pour émettre auprès de la caisse, par tout moyen conférant date certaine à leur réception, des réserves motivées. La caisse adresse également un double de cette déclaration au médecin du travail.

L’employeur n’est pas tenu d’émettre des réserves mais l’usage de ce droit ne peut pas lui être reproché. Il doit cependant les notifier à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) au maximum dans le délai prescrit par l’article R441-6, et si possible dès l’établissement de la déclaration d’accident du travail. La cour de cassation, dans un arrêt du 18 septembre 2014 qui pourrait être transposé à la situation actuelle, avait déjà signalé le danger à le faire tardivement (n° 13-21617, « la prise en charge d’un accident au titre de la législation professionnelle, décidée sans mesure d’instruction, ne peut être remise en cause par des réserves formulées par l’employeur et portées ultérieurement à la connaissance de la caisse »).

L’émission de réserves motivées par l’employeur dans le délai d’instruction de la déclaration, et avant toute prise en charge, autorise la CPAM à proroger son délai d’instruction avant de prendre une décision sur le caractère professionnel de l’accident, et la contraint à mener une enquête circonstanciée sur les faits. La lettre-réseau LR-DRP-11/2016 de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMTS) précise explicitement qu’en cas de réserves motivées de l’employeur, la caisse est dans l’obligation de mener des investigations ; la prise en charge d’emblée est alors écartée.

Ces investigations, qui doivent être menées de façon contradictoire (cour de cassation, 06 juillet 2017 n° 16-18774, et 09.12.2021, n° 20-18234), consistent soit :

  • à envoyer, tant à l’assuré qu’à l’employeur, un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l’accident ;
  • ou à procéder à une enquête auprès des mêmes parties.

Article R441-7 : la caisse dispose d’un délai de trente jours francs à compter de la date à laquelle elle dispose de la déclaration d’accident et du certificat médical initial prévu à l’article L. 441-6 pour soit statuer sur le caractère professionnel de l’accident, soit engager des investigations lorsqu’elle l’estime nécessaire ou lorsqu’elle a reçu des réserves motivées émises par l’employeur.

Article R441-8 : I.-lorsque la caisse engage des investigations, elle dispose d’un délai de quatre-vingt-dix jours francs à compter de la date à laquelle elle dispose de la déclaration d’accident et du certificat médical initial pour statuer sur le caractère professionnel de l’accident. […]

Une réserve est considérée comme motivée dès lors qu’elle porte sur les circonstances de temps et de lieu de l’accident ou que l’employeur y estime que l’accident est fondé sur une cause totalement étrangère au travail. « L’employeur n’a pas à rapporter la preuve des faits allégués ou du caractère non professionnel du sinistre, dans la mesure où tel est justement l’objet de l’instruction réalisée par la caisse ». La chambre civile de la Cour de cassation, l’a confirmé encore par arrêt du 26 novembre 2020 (n° 19-20.058, « l’employeur, au stade de la recevabilité des réserves, n’était pas tenu d’apporter la preuve de leur bien-fondé »). LA CNAMTS estime toutefois que la réserve doit s’appuyer sur (ou être étayée par) un fait ou un élément de contexte faisant peser un doute sur le caractère professionnel de l’accident. Elles doivent apporter des éléments ou indices de nature à mettre en doute la réalité de l’accident survenu et l’imputabilité des lésions au travail. S’agissant de la preuve d’un fait juridique, cette preuve est libre et peut donc être rapportée par tous moyens, notamment par des présomptions graves, précises et concordantes, au sens de l’article 1382 du code civil.

Ceci implique que les réserves non-motivées n’ont pas à contraindre la CPAM à initier la procédure d’enquête complémentaire, et que les réserves « gratuites » (juste la mention « nous émettons des réserves sur le caractère professionnel de l’accident », comme on le lit encore souvent) qui ne seraient pas fondées sur des faits ou des éléments permettant légitimement de jeter le doute sur le caractère professionnel de l’accident n’ont pas à être prises en compte et sont insuffisantes pour déclencher les investigations obligatoires.

La jurisprudence récente a également rappelé un certain nombre de principes applicables à la motivation des réserves d’un employeur, et notamment par les arrêts suivants :

  • Cour d’appel de Paris, 17 décembre 2021 (n° 18/11194) : « les réserves laconiques émises de manière formelle, stéréotypée et non circonstanciée par la seule référence générale à l’absence de témoin et de preuve ne constituent pas des réserves quant aux circonstances de temps et de lieu de l’accident, la société ne mettant pas en doute, par ses réserves, la réalité d’un accident survenu aux temps et lieu du travail, ou quant à la matérialité du fait accidentel, la société ne mettant pas en doute l’imputabilité des lésions au travail ».
  • Cour d’appel de Paris, 26 novembre 2021 (n° 18/05839) : « les réserves laconiques émises de manière formelle, stéréotypée et non circonstanciée par la seule référence générale à l’absence de témoin et à la possibilité que l’accident soit survenu hors du temps de travail, lesquelles n’impliquent pas par elles-mêmes l’absence du salarié aux temps et lieu de travail, ne sont pas suffisamment développées pour que l’on comprenne en quoi l’employeur conteste concrètement la qualification d’accident du travail telle que définie par l’article L.411-1 du code de sécurité sociale. En ce sens, on ne peut considérer qu’il s’agit de réserves motivées pouvant faire naître un doute sur la matérialité de cet accident ».
  • Cour d’appel de Versailles, 02 septembre 2021 (n° 20/02478) : « de ces réserves ainsi libellées [le salarié aurait ressenti des douleurs au dos suite à une glissade qui aurait entraîné une chute de plain-pied de faible hauteur en arrière, les lésions devraient en tout état de cause, se situer sur les coudes ou les fesses au lieu du dos. Les lésions ne peuvent être la conséquence de cet événement] il résulte que la contestation soulevée par la Société est relative au lien de causalité entre la chute telle que décrite par le salarié et les lésions subies sans porter ni sur les circonstances de temps et de lieu de l’accident ni sur l’existence d’une cause totalement étrangère au travail ».
  • Cour d’appel de Paris, 04 juin 2021 (n° 17/13677) : la simple suspicion par l’employeur d’une fausse déclaration d’accident du travail par le salarié ne constitue pas une réserve motivée.
  • Cour d’appel de Metz, 22 avril 2021 (n° 18/03307) : n’est pas une réserve motivée la contestation par l’employeur de la cause de la lésion accidentelle (« les déclarations de la victime ne font référence à aucun événement ou ensemble de faits précis qui pourraient expliquer ces lésions à savoir que son genou s’est bloqué brutalement lors d’une intervention sur une machine. Il est important de signaler que cette blessure ne fait pas suite à un coup avec un bien ou une personne situés sur le lieu de travail. Dans ces conditions, nous considérons que ce genou bloqué est une blessure purement mécanique et ne peut être considérée comme accident du travail »), bien que cette luxation de la rotule se fut produite au temps et lieu de travail.
  • Cour d’appel de Rouen, 24 février 2021 (n° 18/01831) : « il ne peut être considéré que l’employeur en se bornant à attirer l’attention de la caisse sur le fait que le salarié n’avait prévenu sa hiérarchie que le lendemain de l’accident et à lui demander en conséquence de diligenter une enquête, a émis des doutes sérieux sur la réalité de la survenance d’un accident au temps et au lieu du travail et sur l’existence d’une cause étrangère au travail ».

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