Alertés par des médecins et services de santé au travail, nous avons enquêté sur le développement de certaines pratiques de télémédecine du travail a priori illégales. A terme, c’est le cœur de la mission de prévention primaire qui risque de disparaître.
Sous-traiter les visites médicales obligatoires à des médecins du travail « suppléants » en téléconsultation : telle est la proposition commerciale récemment reçue par plusieurs services de santé au travail (SST). Selon une directrice de SST qui a voulu en savoir davantage après avoir été démarchée, ces suppléants sont d’anciens médecins du travail en cumul emploi-retraite, employés par une structure associative pour mener depuis leur domicile des entretiens en téléconsultation et délivrer une attestation. Cette dernière devra néanmoins être validée par le médecin du travail « officiel » du SST en charge du suivi médical du salarié.
Visite médicale « hors-sol »
« Il s’agira d’une visite médicale “hors-sol”, car le médecin
n’aura aucune connaissance du milieu de travail, ne fera pas d’examen
clinique, ni de prévention primaire », s’alarme Sophie Fantoni-Quinton, professeur en médecine du travail à Lille et docteure en droit. Par ailleurs, « qui prouvera que cette personne est bien médecin ? », s’interroge notre directrice de SST.
« La loi ne prévoit pas qu’une consultation de médecine du travail
puisse être déléguée à un autre médecin du travail sous l’autorité du
premier », soulève Melissa Menetrier, médecin du travail et
secrétaire générale adjointe du Syndicat national des professionnels de
la santé au travail (SNPST). « Je serais très curieux de voir quel
médecin prendrait le risque de valider une attestation rédigée par un
autre médecin, de surcroît qu’il ne connaît pas… Cela me paraît
irréaliste », estime Olivier Hardouin, directeur général de
Medisis. Ce SST de l’Oise a investi dans plusieurs stations de
téléconsultation pour assurer les visites d’embauche des intérimaires.
Le médecin du travail du siège se met en lien avec une infirmière qui
reçoit le salarié et peut procéder à des examens médicaux.
Par ailleurs, la structure sous-traitante ne semble pas garantir la
confidentialité des échanges, la protection des données et le respect du
secret médical. La directrice qui a mené l’enquête a demandé à son
interlocuteur s’il avait un délégué à la protection des données (DPO) en
interne ou en externe – obligatoire dans tout SST –, mais celui-ci n’a
pas paru savoir de qui il était question.
Drôle de trio
Un drôle de trio est à l’origine de cette offre : la société
commerciale Medispace, adossée à deux associations, l’Association
française de télémédecine du travail (ASF2T) et le Groupement santé au
travail (GST). Plusieurs médecins du travail s’inquiètent des ambitions
de ces francs-tireurs, qui préfigurent une possible uberisation de la
médecine du travail.
Dans le cadre de ses démarchages, l’ASF2T diffuse un petit film
promotionnel destiné aux employeurs. L’un des atouts du programme de
téléconsultation Medispace RH serait ainsi de « réduire le coût indirect de la médecine du travail pour l’entreprise »
en supprimant par exemple les déplacements des salariés, mais aussi le
surcoût lié aux rendez-vous manqués. Le film met également en avant la « sécurisation par rapport aux obligations légales ».
Sans agrément
Il semble pourtant qu’aucune de ces trois structures n’ait reçu d’agrément. Selon nos informations, la direction régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi (Direccte) d’Ile-de-France a même refusé par deux fois l’agrément à GST. Ce qui n’a pas empêché cette structure de se prévaloir de ce sésame, même si, aujourd’hui, toute référence à l’agrément a disparu de son site Web. Sur un site de recrutement, GST se présentait d’ailleurs abusivement comme « le premier SSTI national de France ». Et selon une source au sein de l’Inspection médicale d’Ile-de-France, « ces recalés de l’agrément déposent des recours devant le tribunal administratif, ce qui leur permet de dire que le dossier d’agrément est en cours d’instruction et ainsi de démarcher des structures publiques où il y a un gros déficit de médecins ».
De son côté, Patrick Augustin, le président de Medispace, prétend dans un premier temps que GST a une « habilitation de la DGT », avant de convenir que « l’agrément est en discussion … devant les tribunaux ». Selon lui, GST a vocation à devenir un groupement de SST en téléconsultation qui proposeront les « outils de Medispace ». Quant à l’ASF2T, c’est une simple « association de promotion de la télémédecine ».
Les liens entre les trois entités sont flous mais bien réels. Le porte-parole de l’ASF2T, Laurent Vervin, a préféré nous renvoyer sur Patrick Augustin, dont il est l’associé au sein de Medispace. A force d’insister, M. Augustin a fini par préciser qu’il était aussi secrétaire général de GST, créé fin 2018 par François Gotchac, un communicant.
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Lire la suite, « Une fonction de « paravent » » et « L’uberisation de la médecine condamnée par le Cnom« sur le site www.sante-et-travail.fr