Les «dark patterns»: comment les technologies nous manipulent

Addictions

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Le monde des technologies use et abuse largement de techniques pour nous rendre accro à ses services ou nous forcer à certains choix qui n’en sont pas vraiment. Mais la révolte gronde, y compris au sein même des géants du Web.

Voulez-vous regarder ce nouvel épisode que Netflix a lancé automatiquement? Cherchez-vous vraiment à faire défiler ces photos déjà vues d’Instagram? Et que dire encore de cette impression d’avoir senti son portable vibrer, de le sortir de sa poche par réflexe ou par ennui, en cherchant inconsciemment cette petite pastille rouge: appel manqué, nouveau texto, nouvelle notification? Toutes ces situations ont pour point commun d’être liées aux «dark patterns», soit le résultat du travail de longue haleine de l’industrie des technologies pour nous déconcentrer et nous rendre accros. Alors que de plus d’utilisateurs se posent la question d’une désintoxication nécessaire aux technologies, le Figaro vous explique comment ce concept est devenu central, y compris chez les géants du numérique.

Que sont les «dark patterns» ?

Le néologisme, que l’on pourrait traduire par «design douteux», a été inventé en 2010 par un spécialiste du design d’interfaces numériques, Harry Brignull. Avec ses sonorités inquiétantes, l’expression veut dire quelque chose des sombres desseins qui animeraient les concepteurs de chaque service numérique. «Il s’agit de manipulations dans le design même des services que nous utilisons, pour faire faire des choix à l’utilisateur, dont il n’est pas conscient» résume ainsi Albert Moukheiber, docteur en neurosciences, psychologue et animateur de débats sur le design éthique avec l’association Chiasma Paris. «Cela peut-être pour nous empêcher de quitter un service, en rendant cela particulièrement difficile ou en jouant sur notre culpabilité, ou bien au contraire pour nous inciter à devenir accro en jouant sur des biais cognitifs», ajoute le scientifique.
Ces biais cognitifs, ce sont en fait tous ces mécanismes de la pensée qui nous font parfois avoir des jugements moins rationnels, comme celui de trouver un produit à 0.99 euros beaucoup moins coûteux qu’un autre au prix rond. Il y en a des centaines, que les psychologues étudient depuis les années 1970 et que les experts du marketing, de la communication ou de la politique utilisent à des fins de manipulation commerciale ou électorale. Dans le champ des technologies, le Laboratoire des technologies persuasives de Stanford a été créé en 1997 par BJ Fogg, figure majeure de la «captologie» ou l’étude des ordinateurs et des technologies numériques comme outils de persuasion.
Le fondateur d’Instagram est passé par ces cours, tout comme plusieurs designers et psychologues aujourd’hui cadres chez Facebook ou Google. Contrairement aux techniques de manipulations «traditionnelles» des années 1970, les «dark patterns» ont ceci de nouveau qu’ils sont traçables et activables automatiquement grâce aux technologies, pour plus d’efficacité: Facebook sait par exemple sur quelles notifications un utilisateur est le plus susceptible de cliquer, et peut donc automatiquement suggérer davantage de contenus auxquels il est sensible.

(Facebook met de fausses notifications pour vous faire penser que vous avez des messages même si ce n’est pas le cas, afin que vous acceptiez les paramètres de confidentialité et de suivi plus vite).

Pourquoi en parle-t-on maintenant ?

Ces deux dernières années, les «dark patterns» ont beaucoup fait parler d’eux car d’anciens employés des entreprises des technologies se sont mis à dénoncer ces pratiques qui seraient allées trop loin. Tristan Harris, ancien ingénieur de Google, intervient ainsi régulièrement pour dénoncer une économie de l’attention selon lui néfaste pour la société. Une vague d’inquiétude s’est emparée de la Silicon Valley, qui s’est mise à réfléchir à ses propres pratiques.
Plusieurs anciens cadres des GAFAM se sont joints à cet effort. Les géants du Web, comme Google, Apple ou Facebook, commencent désormais à mettre en place des fonctionnalités liées à la déconnexion, pour aider leurs utilisateurs à se «désintoxiquer» de leurs services. Petit à petit, la société comprend que quand elle est accro à ses téléphones, ses réseaux sociaux ou ses jeux, ce n’est pas seulement parce qu’elle n’a aucune volonté mais plutôt qu’elle fait face aux tactiques élaborées par des gens dont c’est justement le métier de fabriquer son addiction. Et qu’ils sont devenus trop doués.

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