Face au suicide dans la police, comment l'entraide s'organise

Stress Travail et Santé

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Groupes Facebook, mobilisation des compagnes et compagnons, travail associatif en faveur de la santé mentale… Certains œuvrent depuis des mois contre la souffrance au travail.

Les policiers de France et ceux qui les côtoient sont à bout. Selon un décompte tenu par des associations, le “compteur de la honte” de ceux qui se sont suicidés depuis le 1er janvier a déjà atteint 52 morts. Soit une dizaine de plus que sur toute une année dite “normale”. En réponse, l’intersyndicale a appelé à une “Marche de la Colère”, le mercredi 2 octobre, dans les rues de Paris.
Mais sur Internet, les “collègues” comme ils aiment à s’appeler, n’ont pas attendu l’appel des organisations syndicales pour se mettre en ordre de marche face au suicide. Via des associations et surtout les réseaux sociaux, les initiatives pullulent pour prendre soin de la santé mentale des policiers. Et à chaque fois ou presque, elles émanent des concernés et de leurs proches.

Une “hotline” Facebook pour des policiers, par des policiers

“Regroupons-nous et tentons ensemble d’enrayer ce fléau qui nous touche tous de près ou de loin.” Voici les quelques mots que découvre sur Facebook un internaute qui tenterait de rejoindre “SOS Policiers en détresse”, la page aux plus de 4500 membres lancée il y a moins d’un an. L’une des plus actives de la “flicosphère”.
À l’automne dernier, après un énième suicide dans la “boîte” -le surnom de la Police nationale-, plusieurs initiatives ont vu le jour sur Facebook. L’idée était notamment de donner naissance à une ligne verte qui serait tenue par des policiers, pour des policiers. Et au mois de novembre 2018, deux jours avant le suicide de Maggy Biskupski, la fondatrice de la MPC (pour Mobilisation des policiers en colère) qui alertait justement sur la souffrance dans la profession, le groupe “SOS Policiers en détresse” a été créé. Porté par ce hasard malheureux du calendrier, il a très rapidement grandi. Désormais, les membres s’impliquent, contribuent, interagissent.
Après avoir connu la détresse psychologique et même songé à la mort, un membre raconte au HuffPost qu’il a réussi à se reconstruire, plus fort encore. Et qu’il a décidé de mettre son expérience au service des autres. Depuis, il passe beaucoup de temps dans le groupe. “Vu la solitude et la méfiance dans lesquelles je me suis trouvé à un moment, je me suis dit qu’il fallait que ce soit des flics qui aident des flics. Parce que personne d’autre ne peut le faire, parce que personne ne sait ce que c’est.”
Parmi les membres, tous n’ont pas connu personnellement la dépression, la détresse au travail, le burn out. Un policier contacté par le HuffPost explique par exemple avoir découvert ces maux par la souffrance de son épouse, qui évolue dans un tout autre milieu professionnel et qui a été arrêtée pendant de longs mois. Aujourd’hui, l’objectif est de faire avancer la cause, de peser au sein de la profession, de faire savoir aux collègues qu’ils ont un endroit où se confier et où trouver soutien et réconfort. “Dès le départ, le but était de découler sur une association”, nous explique un membre de la page. “De là à imaginer que j’allais rencontrer des gens qui allaient s’impliquer autant…”
Car aujourd’hui, de simple groupe de discussion, “SOS Policiers en détresse” est devenu un “safe space”, une “hotline” à même de répondre aux cas les plus délicats, un annuaire de spécialistes ainsi qu’une association loi de 1901. “Pratiquement tous les jours, un collègue poste un truc pour dire que ça ne va pas. Et en deux-trois heures, il y a 60 à 70 commentaires pour dire que ça va aller, qu’il pourrait faire ci, ou ça…”, nous détaille un membre. “On se tend la main, on se prête une oreille attentive, on s’entraide dans différentes démarches. On fait ce qu’on peut pour se rassurer, pour s’assister.”

“J’ai appris qu’elle avait une lame de rasoir dans la main”

Un fonctionnement entre policiers qui produit de grands effets. “Il y a quelque temps, une collègue m’a sollicité pour me parler en pleine nuit, parce qu’elle n’allait pas bien”, nous raconte l’un des membres de “SOS Policiers en détresse”. “Je discute un peu, et sentant qu’elle reprend le dessus et qu’elle se calme, on se quitte. Le lendemain, elle me recontacte pour me remercier, m’explique que je lui ai sauvé la vie. Lui répondant que je n’avais pas fait grand chose et qu’on avait juste discuté, ou plus précisément que je l’avais surtout écoutée, j’ai appris qu’elle avait une lame de rasoir dans la main et qu’elle voulait ‘juste voir couler son sang’. Depuis, elle va beaucoup mieux, et on est toujours en contact.” Quelques mots, et une vie sauvée.
Un autre fonctionnaire nous rapporte exactement le même genre de récit. “On a eu le message d’une collègue disant qu’elle est garée sur le parking du commissariat avec son arme sur les genoux, sans arriver à arrêter de pleurer. Il faut y aller à tâtons, on ne sait pas quelle est sa situation. Tu as des enfants? Tu les vois? Pense à eux…” Tout cela sans module de psychologie, ni formation privée. Et ce n’est pas faute de les réclamer.
“On absorbe énormément de tristesse, de désarroi, de colère. Heureusement, on débriefe souvent avec les uns et les autres, on s’écoute”, glisse au HuffPost un membre. “Comment trouver les mots? J’ai déjà été dans cette situation, je sais ce qui m’a ramené à la vie. Je sais comment faire pour que le ou la collègue s’accroche.” Au bout du compte, des remerciements chaleureux, la nouvelle qu’untel va mieux, les larmes de joie au téléphone d’un homme que l’on n’a jamais vu, mais que l’on a sorti d’une mauvaise passe. Et de toute façon, “on ne peut pas rester sans rien faire”. Et puis certains anciens retrouvent ainsi une solidarité qui s’est étiolée dans les commissariats.

Comprendre ce que sont la détresse psychologique et la souffrance au travail

“Est-ce qu’aujourd’hui le compteur de la honte ne serait pas plus élevé si on n’avait pas créé cette page? Je crois que je connais la réponse”, assure un membre d’une trentaine d’années. “Mais si un jour on doit fermer la page parce qu’on n’en a plus besoin, tant mieux…” Ce sentiment d’avoir sauvé des vies, les policiers actifs sur Facebook ne sont pas les seuls à l’avoir connu. Anthony Chicheportiche et Cyril Cros, deux des fondateurs de l’association Assopol l’ont également ressenti. “On sait qu’à la suite de la diffusion de notre documentaire, au moins quatorze membres des forces de l’ordre ont consulté un psychologue. Pour moi, c’est quatorze vies sauvées. Et même s’il n’y en avait eu qu’une seule, j’aurais remporté mon pari”, explique le premier, président de l’association sans jamais avoir été policier, par pure sympathie pour la cause.
Car malgré ses onze mois d’existence, l’association commence déjà à se faire un nom dans le monde des forces de l’ordre. Le documentaire dont parle Anthony Chicheportiche, c’est un film dans lequel des policiers posaient dix questions sur la détresse psychologique au travail à une spécialiste, Marie Pezé. Cette dernière, psychologue, leur donnait des clés, à eux et à leur famille, pour appréhender et comprendre ces situations de souffrance extrême.

Grâce à un partenariat avec l’association Souffrance et Travail, Assopol peut aussi rediriger les policiers (et plus généralement tous les membres des forces de l’ordre) vers des psychologues indépendants, partout en France. “Beaucoup de policiers pensent qu’ils vont être pointés du doigt et que la hiérarchie va être mise au courant s’ils poussent la porte du SSPO (le Service de Soutien psychologique opérationnel, géré par le ministère de l’Intérieur et qui dispose d’un maillage national de psychologues pouvant être consultés anonymement par les policiers et gendarmes, ndlr)”, nous explique Anthony Chicheportiche, le président d’Assopol. Il leur propose donc des solutions alternatives, en plus de dédramatiser la consultation via le SSPO, qui demeure protégée par le secret médical.
Le co-fondateur, Cyril Cros, est particulièrement bien placé pour parler de ce dispositif. Après avoir souffert en silence pendant des mois, il a fini par s’ouvrir à sa hiérarchie, et a été incité à consulter. Il s’est retrouvé au Courbat, un établissement de santé situé en Indre-et-Loire, près de Tours, et géré par plusieurs ministères, dont celui de l’Intérieur. Un lieu spécialisé dans le traitement des burn-out et des comportements addictifs chez les forces de l’ordre, avec lequel Assopol est désormais liée et vers lequel elle peut rediriger ceux qui la contactent.

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