"J'ai pété les plombs" : le piège doré des jeunes diplômés de finance

Burn Out, Stress Travail et Santé

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La finance leur promettait une carrière de rêve, ils sont finalement tombés en dépression. 

Lina* n’est plus triste. Elle semble même apaisée. Assise en terrasse, la jeune femme de 29 ans est prête à se remémorer les durs souvenir de son déclin. «Je n’étais plus capable de tenir debout. J’étais par terre. Livide. Les gens me voyaient et personne ne venait. Ils ne veulent pas voir ça. Ça les confronte à la réalité», se rappelle-t-elle.

Après un stage de six mois chez Deloitte France, Lina est engagée en CDI, monte en grade et devient «analyst». En fusion-acquisition, «M&A» (Mergers and Acquisitions) ou «fusac» pour les plus pressés, il est facile de grimper les échelons. Les besognes des jeunes recrues, qui se limitent principalement à des présentations Powerpoint et des tableaux Excel, sont peu valorisantes mais déjà bien payées «entre 40 et 42K par an».

« Ceux qui donnent les ordres sont passés par là »

«Je ne rentrais jamais avant 23 heures ou minuit», confie Maxime* qui était en stage chez Lazard, toujours en poste aujourd’hui dans une grande banque. «Quand tu penses avoir fini, vers 22 heures, tu fais le tour et tu vérifies que plus personne n’a besoin de toi. Et on a toujours besoin de toi», ajoute le jeune homme de 23 ans. La charge de travail en fusion-acquisition est immense car il y a «moins de main-d’oeuvre pour concentrer les revenus», explique Théo Bourgeron, sociologue.

«Ces jeunes recrues, qui travaillent en moyenne 75 heures par semaine, subissent une pression très importante de leurs supérieurs», ajoute le chercheur spécialiste en socio-histoire de la finance. «Les hiérarchies de ces banques d’affaires pensent que ce traitement est légitime, car ceux qui donnent les ordres sont passés par là. C’est un peu le syndrome de l’enfant battu, on fait subir ce qu’on a subi. Mais là, ils en ont conscience.»

« Tu broies du noir, tu te sens seul, très seul »

Baptiste*, 24 ans, se rappelle avoir été «épuisé en permanence» : «Midi et soir, c’était Deliveroo. Le week-end, quand j’arrivais un peu à m’aérer, mes proches me posaient mille questions sur mon travail. Jamais tu ne déconnectes vraiment. T’es complètement coupé de la réalité en travaillant tous les jours de 9 heures à 1 heure du mat’.» Mais c’est après que son «vrai surmenage», comme il le désigne pudiquement, est arrivé.

À peine a-t-il eu le temps de finir ses stages, qu’il devait déjà en trouver un autre. «Les refus des banques se sont enchaînés.» Des refus qu’il considère comme des échecs. «T’es chez toi tu tournes en rond, le temps presse, t’es surchargé de travail car tu as mille autres trucs à faire, ton mémoire, des inscriptions en master spécialisé… c’est l’enfer.» «Tu broies du noir, tu te sens seul, très seul», conclut-il.

« Être en burn-out au bout de seulement trois ans, c’est ridicule »

Après avoir passé trois ans en «M&A», Lina craque. En arrêt maladie, son supérieur continue à la bombarder de messages. «Tu dois traiter ton boss comme si c’était ton client, ne jamais lui dire non», se répétait-elle en boucle. «Etre en burn-out au bout de seulement trois ans, c’est ridicule. Alors il ne faut rien dire et personne n’en parle.» La jeune femme accumule les absences par peur d’être trop inefficace au bureau. «Je me sentais inutile, alors je me disais « si je ne sers à rien, pourquoi rester en vie? »» Depuis, l’eau a coulé sous les ponts. Elle ignore quel sera son avenir professionnel mais elle aborde avec beaucoup plus de distance.

Combien sont-ils, comme Lina ou Maxime, à avoir «pété les plombs»? Difficile de quantifier ce phénomène car se plaindre quand on gagne autant d’argent relève du tabou. «Ce métier construit un idéal de la masculinité. Ne pas arriver à respecter ce modèle c’est prendre le risque d’être stigmatisé ou exclu, par ses collègues, de ne plus se sentir reconnu comme viril», précise Valérie Boussard, auteure de «Finance at work». «Il y a une notion de Superman : « je n’ai jamais peur, je n’ai jamais mal ». C’est une attitude complètement machiste où l’on n’accepte pas l’émotion qui serait un signe de faiblesse», commente Patrick Légeron, psychiatre et créateur du cabinet Stimulus, spécialisé dans la lutte contre le stress en entreprise. «C’est un milieu dans lequel on ne reste pas, à cause du système de progression appelé « Up or out ». On peut alors supposer que ceux qui sortent du circuit sont ceux qui ont du mal à supporter les règles du jeu. De toute façon, ils ne peuvent pas tous monter car la hiérarchie est pyramidale», ajoute Valérie Boussard.

Maxime espère durer jusqu’à ses «30 ou 35 ans max» dans ce milieu. Il veut pouvoir mettre sa future famille financièrement à l’abri avant de vaquer à ce qui le rend «vraiment» heureux, le théâtre. «Les jeunes se disent qu’ils vont tout donner pendant 2 ou 3 ans et se fixent un « fuck you number » : ils travaillent jusqu’à avoir une certaine somme d’argent de côté et pensent se reconvertir pour faire ce qu’ils veulent profondément», affirme Alexandra Michel, ancienne banquière à Goldman Sachs, aujourd’hui professeure à l’université de Pennsylvanie. Le problème est que «ce « fuck you number » est difficilement atteignable tellement leur train de vie est élevé», précise l’Américaine. «Il n’y a qu’en travaillant dans la banque qu’on gagne autant d’argent. Ils n’ont pas le luxe de travailler ailleurs.»

Lire la suite, « Le système d’éducation français « en cause », sur le site www.parismatch.com

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