La médecine du travail au fil de l'Histoire, depuis les pharaons

Stress Travail et Santé

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Port du masque systématique, télétravail recommandé… La santé des travailleurs est au centre des préoccupations de cette rentrée. Mais cela n’a pas toujours été le cas. De l’Égypte antique au XXe siècle, en passant par l’Antiquité, à quand remontent les prémices de la notion de santé au travail ?

Masque, télétravail et gel hydroalcoolique sont de rigueur en cette semaine de rentrée. Pour éviter un rebond de l’épidémie de Covid-19, le ministère du Travail a publié lundi soir un protocole national sur les nouvelles règles sanitaires à respecter pour assurer la sécurité des salariés en entreprise. Salariés à risque de forme grave du virus et entreprises peuvent ainsi « solliciter la médecine du travail afin de préparer le retour en présentiel […] et étudier les aménagements de poste possibles”. Longtemps limitée voire inexistante, la médecine du travail a fini par s’ancrer au fil des siècles dans le fonctionnement des entreprises. Parent pauvre de la médecine, peu de travaux spécifiques existent sur la notion de santé au travail avant le XXe siècle et l’attrait des historiens pour cette discipline qui remonte à à peine quelques décennies. Pourtant, la notion de « maladies professionnelles » est aussi ancienne que l’histoire de la médecine.

De l’Égypte antique à Ramazzini

La médecine du travail remonte même à l’Égypte antique d’après des papyrus provenant de Deir el-Médineh, village où résidaient les artisans chargés de construire les tombeaux et les temples funéraires des pharaons et de leurs proches durant le Nouvel Empire (1550–1070 av. J-C). Selon ces textes, des médecins étaient affrétés par le Pharaon pour veiller à la santé des ouvriers travaillant à la construction des pyramides.

De tout temps, les travailleurs ont souvent fait les frais de leur labeur. Ainsi, durant l’Antiquité, le célèbre médecin Hippocrate (460-env. 370 av. J.-C.), qui a notamment permis de poser les fondements de la médecine moderne, repère la nocivité du plomb via les violentes coliques des ouvriers métallurgistes.

Certaines professions ont bien tenté de se protéger. Preuve en est : l’ancêtre du masque chirurgical remonterait au début de l’Empire romain écrit l’archéologue Patricia Antaki-Masson dans Libération :

C’est au fond des mines espagnoles de cinabre qui fournissaient le mercure à l’ensemble de l’Empire romain que l’emploi d’un masque protecteur est attesté pour la première fois. Selon le médecin et naturaliste grec, Dioscoride, les mineurs, afin de se protéger des vapeurs toxiques, avaient recours à des vessies animales dont ils se couvraient le visage.

Si les maladies liées au travail dans les mines sont progressivement documentées par les médecins au fil des siècles, l’ouvrage qui fera longtemps référence dans le domaine est attribué au médecin italien Bernardino Ramazzini (1633-1714). Son Traité des maladies des artisans (De morbis artificum diatriba, publié une première fois en 1700 puis réédité en 1713), traduit en plusieurs langues au XVIIIe siècle, fera de lui le précurseur de la médecine du travail et le fondateur de l’hygiène professionnelle pour de nombreux acteurs du domaine de la santé. Ramazzini identifiait alors les deux principales causes des maladies préfigurant l’étiologie moderne : la mauvaise qualité des agents chimiques voire biologiques utilisés, et les mouvements violents, irréguliers, ou mauvaises situations des membres induites par le travail.

Il y a beaucoup de choses qu’un médecin doit savoir, soit du malade, soit des assistants ; écoutons Hippocrate sur ce précepte : « Quand vous serez auprès du malade, il faut lui demander ce qu’il sent; quelle en est la cause, depuis combien de jours, s’il a le ventre relâché; quels sont les aliments dont il a fait usage. » […] mais qu’à ces questions il me soit permis d’ajouter la suivante : quel est le métier du malade ?                
Bernardino Ramazzini, Préface du Traité des maladies des artisans

Cependant, au regard des travaux historiques du XXIe siècle, la position de précurseur de Ramazzini est nuancée par certains spécialistes comme Julien Vincent, maître de conférence en histoire des sciences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Dans son article Ramazzini n’est pas le précurseur de la médecine du travail publié en 2012 dans la revue Genèses, ce dernier estime que la médecine du travail est située « à la rencontre de différents savoirs comme la toxicologie, l’ergonomie, l’épidémiologie, la médecine légale, la statistique, la psychologie, ou encore l’étude de l’organisation du travail » et est le résultat « d’un compromis entre le corps médical, l’État social, le mouvement ouvrier et les entreprises« . 

En outre, il apparaît plus clairement aujourd’hui qu’une pluralité de modèles pour penser le lien entre maladie et profession se sont succédé au cours de la période contemporaine. Avant la médecine professionnelle, l’hygiène industrielle, la medicina sociale, la industrial medicine et la Gewerbehygiene s’imposèrent, qui comportaient elles-mêmes plusieurs modèles hygiénistes en concurrence. Or ces différents savoirs, acteurs et dispositifs ont chacun des histoires singulières, qui offrent autant de points de vue différents sur l’histoire de la médecine et sur la place qu’y occupe le traité de Ramazzini. À mesure que ces travaux avancent, il paraît de plus en plus difficile d’assigner une origine unique à ce domaine médicolégal aux ramifications multiples.              
Julien Vincent, historien

La reconnaissance de la santé au travail : une lutte des classes

En France, le XIXe siècle marque les débuts de l’histoire contemporaine de la médecine du travail. Si l’expression « médecine du travail » ne se développe qu’à l’entre-deux guerres et ne s’officialise qu’à partir de 1940, la seconde moitié du XIXe siècle est marquée par le développement de « l’hygiène industrielle » dont le but est d’améliorer l’environnement de travail des ouvriers. Il faudra toutefois patienter jusqu’aux années 1880 pour que cela devienne un véritable enjeu politique, comme l’explique l’historien Jean-Claude Devinck dans un entretien pour la revue Mouvements en 2009. Si de 1829 à 1880 la connaissance autour de l’influence de l’industrialisation sur la santé des travailleurs est très documentée, cela « ne se traduit pas du tout par des mesures ou des lois sanitaires » constate-t-il : 

À partir des années 1860, comme le montre Caroline Moriceau [Les douleurs de l’industrie. L’hygiénisme industriel en France, 1860-1914 (éditions de l’EHESS, 2009)], les médecins s’organisent en faveur d’une institutionnalisation de l’hygiène industrielle. Mais leur objet est simplement de décrire. Ils constatent les méfaits de la Révolution industrielle sur la santé des ouvriers mais ne remettent pas en cause cette évolution générale : il faut faire avec. Leurs désaccords portent surtout sur l’évaluation du caractère toxique de tel ou tel produit. Cela a sans doute contribué à l’énorme décalage chronologique entre le savoir médical et la reconnaissance légale même si le principal facteur réside dans l’indifférence des politiques et la résistance acharnée des industriels.

Au fil du XIXe siècle s’instaurent de multiples controverses sur la responsabilité de la santé des travailleurs. Les victimes d’accidents de travail tentent tant bien que mal d’obtenir réparation en attaquant en justice leur employeur, au prix d’une procédure longue, coûteuse et souvent vaine. Les entreprises refusent quant à elles de prendre leur responsabilité raconte l’historien Nicolas Hatzfeld, spécialiste de la médecine du travail :

Les employeurs considèrent pendant très longtemps que la santé est l’affaire des travailleurs. Ils estiment qu’ils paient des risques pour un certain nombre de métiers et que donc, payant ces risques, c’est aux gens qui les prennent de les assumer. La première loi actant la responsabilité de l’entreprise dans les accidents du travail date de 1898.

Problème : cette loi ne prend pas en compte les maladies professionnelles. Malgré l’âpre combat mené par les syndicats ouvriers, il faudra attendre 1919 pour que le Sénat ratifie une loi où seuls le saturnisme et l’hydrargyrisme (intoxication au mercure) sont reconnus en tant que maladies professionnelles. Si comme en 1898, cette loi organise l’indemnisation des victimes, elle n’est pas dénuée d’ambiguïté selon Nicolas Hatzfeld :

Les entrepreneurs prennent des assurances pour indemniser les victimes et ne sont alors plus considérés comme coupables de négligence ou de faute. Sans oublier qu’au XXe siècle, les entreprises contournent la question directe du risque, et par conséquent la lutte des classes, en donnant des primes lorsque les conditions de travail sont dangereuses ou pénibles. Ce compromis va fonctionner jusqu’aux années 1970.

Bien qu’étant un grand pas dans la reconnaissance de la santé au travail, ces lois ne sont pas forcément vues d’un bon œil par les syndicats ouvriers car les employeurs préfèrent augmenter les primes versées par les entreprises plutôt que d’investir dans la prévention.

Lire la suite, « Les guerres du XXe siècle ou la mise en place forcée d’une médecine du travail« , sur le site www.franceculture.fr

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