La novlangue managériale, un formatage de la pensée. Entretien avec Agnès Vandevelde-Rougale, socio-anthropologue

29 août 2024 | Stress Travail et Santé

Team building, mutualisation des ressources, benchmarking, optimisation des « process » : l’entreprise est aujourd’hui régie par une véritable « novlangue », qui contamine les autres sphères de la société – des médias à la politique en passant par l’intimité familiale et amoureuse. Sans être imposée d’en haut par un pouvoir totalitaire, comme chez George Orwell, elle témoigne plutôt de la dissémination insidieuse de l’idéologie néolibérale. Mais, au fond, dans notre monde comme chez Orwell, la logique est la même, explique la sociologue Agnès Vandevelde-Rougale. Propos recueillis par Octave Larmagnac-Matheron pour le site Philonomist.

Orwell imaginait une novlangue créée par l’État pour asseoir sa domination. Dans votre travail, vous soulignez que la novlangue de notre monde contemporain est plutôt née dans les entreprises…

Agnès Vandevelde-Rougale : Oui, c’est une différence importante.

La novlangue managériale dont je décris l’influence (je ne suis pas la première à utiliser l’expression !) n’est pas un décalque de celle de 1984. Contrairement à ce qu’imagine Orwell avec le « Newspeak », cette novlangue n’est pas créée délibérément par une instance supérieure – Big Brother et son administration – qui chercherait à manipuler le langage.

C’est un processus beaucoup plus diffus, souterrain, insidieux. Il est certainement sous-tendu par une idéologie gestionnaire néolibérale, mais cette idéologie n’est pas imposée par une instance unique : elle se met en mouvement, en premier lieu, dans le discours des managers et des consultants, au sein des entreprises, et avec le discours du « développement de soi ».

Mon travail porte essentiellement sur les effets de ce discours managérial sur les sujets qui l’intériorisent.

Autre différence : contrairement à la novlangue orwellienne, qui règne sur le territoire délimité de l’Océania, la novlangue managériale s’est diffusée dans le monde entier ?

C’est vrai. La vie d’une langue, ses évolutions sont intimement liées aux contacts entre les humains, entre les sociétés. Or, aujourd’hui, les mouvements liés au management du travail et au management de soi sont particulièrement dynamiques : les mêmes consultants vendent leur travail, leurs approches, aux quatre coins du monde ; cadres ou jeunes diplômés bougent d’un pays à l’autre, notamment au sein des multinationales ; des livres d’« auto-coaching » sont traduits en plusieurs langues…

Un même vocabulaire, une grammaire empreinte de positivité, une même vision des choses circulent alors d’un pays à l’autre. En ce sens, la novlangue managériale est globale.

“La novlangue managériale s’est propagée bien au-delà de la sphère de l’entreprise : presque tous les domaines en sont imprégnés”

Lire la suite sur le site Philonomist


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