Le changement dans la Fonction publique : une farce permanente indigeste

02 février 2019 | Stress Travail et Santé

Les théories du management envahissent la fonction publique souvent pour le pire. Or rien n’oblige à se soumettre aux injonctions contradictoires qu’elles charrient. Ne nous laissons pas faire…

Il est impossible d’y échapper, les formations aux noms les plus évocateurs sont proposées à l’ensemble des agents publics même si elles ne semblent concernées à première vue que le seul encadrement.
Petit florilège:

  • Conduire et accompagner le changement
  • Leadership et gestion d’équipe
  • Articuler management hiérarchique et management transversal
  • Mobiliser son équipe

Les petits chefs sont sommés d’intérioriser la doctrine managériale issue du monde de l’entreprise privée. Les subordonnés sont priés d’adhérer à la suite.
On pourrait de prime abord être séduit par un tel programme qui semble partir d’une bonne intention. Qui serait contre plus d’efficacité ou un meilleur service rendu ou encore contre un dialogue plus harmonieux avec la hiérarchie ?
Le problème majeur est que le cadre est déjà posé et la conclusion est écrite d’avance : faire plus avec moins.
En premier lieu on peut objecter que le bon sens voudrait que l’on commence déjà à faire aussi bien avec moins.
Dans un second temps on ne s’étonnera pas que le hiérarques osent tout car c’est à cela qu’on les reconnaît. La contradiction la plus élémentaire ne les étouffent pas, elles leur donnent l’illusion de flotter dans la pensée complexe.
Les remèdes du nouveau monde que l’on nous vend ne sont pas nouveaux. Souvenons-nous d’Épictète, cet esclave dans la Rome antique, qui, alors que son maître s’amuse pour son bon plaisir à lui tordre la jambe, lui aurait déclaré sur un ton neutre et bienveillant « si vous continuez vous allez me la casser ». Le maître un peu trop insistant aurait finalement fini par lui briser le membre. Le bon Épictète lui aurait alors déclaré toujours sur le même ton « vous voyez, je vous l’avais bien dit ».
Morale de la soumission, s’il en est, et de l’acceptation de son sort, la philosophie stoïcienne amène l’esclave à évaluer la situation avec recul et à accepter son sort sans essayer de lutter.
On retrouve peu ou prou la même morale avec les théories modernes du changement. Il n’est pas fait référence aux stoïciens, on leur préfère les analyses psychologiques du deuil dans lesquelles le sujet passe par différentes étapes avant d’accepter la réalité de la perte de l’être aimé. Il en serait de même pour le sujet en proie, par exemple, à des changements d’organisation du travail. Exit l’esclave avec sa jambe cassée, la novlangue managériale paraît plus moderne mais la logique est la même, il s’agit de porter chacun à se résigner et à accepter la réalité.
Ne soyons pas dupes, la réalité dont il est question n’est pas le fruit du hasard et ne vient pas de nulle part. Elle est le plus souvent instituée dans un cadre qui a été défini et qui lui donne corps et forme. Au surplus le prisme idéologique à travers lequel cette réalité est perçue est loin d’être neutre.
Vous l’aurez compris, il s’agit avant tout, pour les tenants de la théorie du changement, d’éviter toute contestation collective du cadre dans lequel s’insèrent les politiques actuelles et de renvoyer chacun à lui même de manière à ce que les individus intériorisent ce cadre et les contraintes qui l’accompagnent.
Il ne reste ensuite au gouvernement ou à l’administration qu’à proposer un diagnostic soi-disant « partagé » et à imposer ses vues. Les décisions sont déjà prises avant même les pseudo consultations qui se trouvent, de ce fait, biaisées et tronquées. Toute ressemblance avec des événements qui ont eu lieu ou qui pourraient avoir lieu est évidemment purement fortuite.
L’acculturation de l’ensemble des services publics à la logique managériale de marché, mise en œuvre depuis plusieurs années, est en marche avec son lot de désolations :

  • politique du chiffre
  • suicides
  • souffrance au travail
  • perte de sens et des missions
  • évaluation permanente
  • gouvernance par les nombres

Les réformes à venir, en premier lieu AP2022, devraient largement accentuer ce phénomène :

  • intérêt général bradé à la sphère du privé
  • mise en concurrence avec la sphère marchande
  • individualisation de la rémunération
  • sacralisation du numérique et de l’algorithme….

Voici quelques poncifs que l’on peut entendre ici ou là et qui poussent certains à se résigner.
« Vous n’allez pas bien, c’est un peu de votre faute, acceptez les choses telles qu’on les a décidées pour vous, vous n’avez pas le choix, vous irez mieux si vous ne résistez pas. Ne vous plaignez pas, ailleurs c’est bien pire, bougez-vous. On doit s’adapter à la mondialisation, il n’y a pas d’alternative… » .
Vous l’aurez compris ou vous le vivez déjà, de tout cela il ne sort rien de bon et on est très loin de l’objectif initial affiché.
N’oublions pas qu’à trop dormir, le réveil peut être brutal surtout lorsque que le cauchemar devient la réalité et que le pire est devenu la norme en raison de changements permanents qui n’ont plus aucun sens.

NE RESTONS PAS DIVISÉS ET REFUSONS COLLECTIVEMENT LA FORME ET LE FOND DU CHANGEMENT ACTUEL

Un extrait d’un article d’Alain SUPIOT, paru dans Le Monde Diplomatique du mois d’octobre 2017, intitulé « et si l’on refondait le droit du travail » donne à réfléchir sur la notion de changement appliquée au droit du travail :
«(…) En principe, le droit est à la vie civile ce que nos maisons sont à notre vie matérielle : un cadre ferme et stable, avec ses murs, son toit, ses portes et fenêtres, ses pièces aux fonctions différenciées. Mais l’indexer en temps réel sur des calculs d’utilité revient à lui ôter toute stabilité, comme une maison maudite dont les murs seraient mous, les moquettes colleraient aux pieds, les plafonds s’affaisseraient, les fenêtres et les portes changeraient chaque jour de place. Celui qui se trouverait piégé dans un tel édifice serait naturellement tenté de l’abattre, à la grande satisfaction du mauvais génie qui lui aurait jeté pareil sort.
Et de fait, les grands simplificateurs qui crient aujourd’hui haro sur le code du travail sont ceux-là mêmes qui, année après année, s’acharnent à l’alourdir et le compliquer. Ils n’attendent même plus que l’encre de la dernière loi soit sèche pour entamer la rédaction de la suivante. Le gouvernement s’étant privé de tous les grands leviers macroéconomiques susceptibles de peser sur l’emploi (maîtrise de la monnaie, contrôle des frontières du commerce, taux de change, dépense publique), il s’agrippe frénétiquement à celui qui lui reste entre les mains : le droit du travail, présenté comme un obstacle à l’embauche. Aucune étude sérieuse ne confirme cet argument(…) »

NOUS REFUSONS D’ÊTRE DES ESCLAVES OU DES ENDEUILLÉS PERMANENTS

NOUS DEMANDONS L’ARRÊT DES FORMATIONS PATHOGÈNES ET NUISIBLES A L’INSTAR DES FORMATIONS VALORISANT LE CHANGEMENT PERMANENT

NOUS DEMANDONS L’ABANDON DE LA FUNESTE REFORME AP2022

Via le site https://blogs.mediapart.fr

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