Violences médicales: «La prise de pouvoir de l’informatique dégrade la relation patient-médecin»

Stress Travail et Santé

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INTERVIEW Philippe Baudon, médecin généraliste, publie jeudi 8 novembre un essai dans lequel il attaque vivement le manque de temps, d’écoute et d’empathie de certains médecins…

Passer de soignant à aidant. Un chemin que certains praticiens peuvent être amenés à parcourir quand un proche tombe gravement malade. C’est le cas de Philippe Baudon, médecin généraliste retraité, qui a accompagné son épouse depuis le diagnostic de sa tumeur cérébrale jusqu’à son dernier soupir. Cette descente aux enfers n’a pas toujours été allégée par les médecins hospitaliers qui ont suivi son épouse. Au point que Philippe Baudon a décidé de prendre la plume pour raconter le manque d’empathie de certains médecins. Son livre Médecin lève-toi !* publié ce jeudi ne manquera pas d’agacer les médecins hospitaliers, qui souffrent aussi d’injonctions contradictoires, de manque de temps. Une réalité que Philippe Baudon ne nie pas. Mais il insiste sur la nécessité de renouer le dialogue entre soignants et patients. Et entre ville et hôpital.

Qu’est-ce qui vous a poussé, vous médecin, à publier ce livre-coup de gueule ?

Pendant la maladie de ma femme, j’ai vu une misère humaine que je ne soupçonnais pas. J’ai rencontré des médecins qui prennent des patients pour des numéros. J’ai décidé d’écrire ce livre le jour où un praticien hospitalier a dit à mon épouse : « Si dans six mois vous êtes là, vous ferez partie des 5 % de survivants ». Même si c’est vrai, un médecin ne devrait jamais formuler les choses ainsi. J’ai pensé qu’il fallait que je m’investisse pour dénoncer ce que je vivais et qui n’était pas normal. Car j’ai d’autres exemples de comportements déplacés de la part de personnels soignants. Ce que je raconte aussi, c’est l’effet positif qu’on peut parfois avoir. En découvrant le visage angoissé des patients dans la salle d’attente, je leur ai proposé de me poser des questions. Une véritable chaîne humaine entre patients s’est créée et ils ont été beaucoup mieux après cette initiative.

Mais est-ce que votre expérience personnelle est généralisable ?

J’aurais des dizaines de cas à raconter, mais mon livre aurait fait 500 pages… On a des médecins toxiques et de très bons médecins. Le chirurgien qui a opéré mon épouse était très humain. Quand elle a été hospitalisée, il venait la voir trois fois par jour. Et il y a des médecins fantômes qui s’occupent davantage de leurs publications que de leurs patients. Le problème, c’est que le malade, qui n’a pas choisi d’être malade, quand il n’y a pas de dialogue, il souffre énormément. Or, je pense que le psychique joue beaucoup dans l’état de santé d’un malade.

Vous posez la question très compliquée de la sincérité du médecin : un soignant doit-il tout dire à son patient ?

L’expérience montre que les gens ont besoin de connaître la vérité, mais qu’ils ne veulent pas l’entendre. Moi j’ai toujours répondu : « La médecine évolue tous les jours, on va tout faire pour que vous alliez mieux ». Le problème est aujourd’hui juridique : si le médecin ne dit pas au malade ce qu’il a, il peut être attaqué en justice. Cette sincérité sans ménagement, c’est une protection. Le problème, c’est comment la dire, cette vérité. Il doit y avoir un sixième sens du soignant, qui en fonction du patient, va gérer l’information pour qu’elle soit saine. Un médecin ne doit jamais oublier qu’il a face à lui une personne en souffrance, et qu’il a un rôle : le sécuriser pour mieux soigner.

Cela fait des mois qu’on entend parler de violences médicales, est-ce que vraiment la pratique de la médecine a changé ou est-ce qu’on a plus les moyens et l’envie de les dénoncer ?

Non, je pense qu’on a gagné en technicité et perdu en humanité. On fait des scanners, des examens, mais on fait moins preuve d’intelligence. Quand vous voyez que les consultations médicales avant une chimio durent entre 3 et 6 minutes, cela signifie qu’il n’y a pas de dialogue. C’est ce que ressentent les patients. Il y a aussi un problème d’organisation, de hiérarchie au sein des hôpitaux qui s’est dégradé. Et évidemment un manque de temps. Le médecin libéral a trop de tâches : la comptabilité, la gestion des stocks. Quelles conséquences ? Il réduit son temps de consultation. De même, le médecin hospitalier souffre de cette pression de publier absolument, des réunions sans fin…

Pourquoi la communication est-elle si importante pour un médecin ?

Par le dialogue, combien de fois je me suis rendu compte qu’un problème bénin ne méritait ni hospitalisation, ni radio. Aujourd’hui, on a remplacé le « Bonjour » par « Avez-vous votre carte vitale ? ». Combien de patients m’ont dit que tel médecin ne les regarde pas, mais reste derrière son ordinateur ? La prise de pouvoir de l’informatique dégrade la relation patient-médecin. La façon dont le malade se déplace, s’assoit, dont il regarde le médecin nous livre pourtant beaucoup d’informations.

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* Médecin, Lève-toi, 8 novembre 2018, éditions Nymphéas, 14,90 euros.

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