[Procès France Télécom] Harcèlement moral à France Télécom : «Dont acte, je n'y peux rien»

Suicide Au Travail

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Au deuxième jour du procès des anciens dirigeants de France Télécom devant le tribunal correctionnel de Paris, les propos de l’ex-PDG Didier Lombard, pour qui la vague de suicide n’est pas une «crise sociale mais une difficulté», ont glacé la salle d’audience.

Un vertige a saisi la salle d’audience. En costume et cravate bleu marine, Didier Lombard est à la barre. L’ex-PDG de France Télécom (devenu Orange) et six anciens dirigeants et cadres de l’entreprise du CAC 40 sont jugés pour «harcèlement moral» et «complicité» de ce délit pour avoir instauré une politique d’entreprise visant «à déstabiliser les salariés et à créer un climat professionnel anxiogène». Et au deuxième jour du procès devant le tribunal correctionnel de Paris, ses premiers mots tant attendus ont glacé l’assistance. D’excuses, il n’y a pas eu. Encore moins de regrets.
«Que les transformations sociales n’aient pas été agréables, c’est comme ça. Dont acte, je n’y peux rien. Si je n’avais pas été là, ça aurait été pareil ou même pire», a déclaré ce polytechnicien de 77 ans, devant une salle partagée entre colère et stupéfaction. Un peu plus tôt, le retraité avait déroulé du même ton clinique et monocorde, mais non sans une certaine morgue, sa brillante carrière d’ingénieur, ses travaux de recherche sur les câbles sous-marins, les satellites… Disant, par exemple : «J’ai participé à l’élaboration de la norme GSM qui a été, comme vous le savez, un grand succès, puisque le monde entier l’a adoptée.»

35 salariés se sont donné la mort

Dix ans après la série de suicides ayant frappé France Télécom, il n’y a pas eu de «crise sociale, mais une difficulté», estime froidement celui qui fut à sa tête de 2005 à 2010. Alors que les plans Next et Act visaient à supprimer 22 000 emplois en moins de trois ans, 35 salariés poussés à bout se sont donné la mort rien qu’en 2008 et 2009. Certains incriminant directement leur employeur. Les juges d’instruction, eux, ont retenu 39 cas directement liés à ce harcèlement moral à grande échelle, dont 19 suicides. A l’été 2009, il y a eu «une crise médiatique», avance le prévenu. «Les journaux disaient que leur entreprise était lamentable, ça leur a cassé le moral», poursuit Lombard, bras grand écartés sur le pupitre, avant d’invoquer «l’effet Werther», selon lequel le fait de parler des suicides dans les médias peut produire un effet d’entraînement. Des «roh» fusent sur les bancs des parties civiles. Un peu plus tard, l’avocat Me Jean Veil tentera de secourir son client, évoquant «la maladresse épouvantable qui est la sienne».
Mais Lombard n’en démord pas : cette transformation était nécessaire alors que «notre maison, France Télécom, était en péril». Et l’ancien chef d’entreprise d’expliquer le contexte d’ouverture à la concurrence, le développement des nouvelles technologies. Et l’endettement de la société à hauteur de 70 milliards. Un peu plus tôt, lisant un texte qu’il avait pris soin d’écrire en guise de propos liminaire, l’ex-PDG a exprimé «le profond chagrin qui demeure et demeurera à tout jamais le mien pour ceux qui n’ont pas supporté la transformation imposée à l’entreprise»… L’avocate de nombreuses parties civiles Me Sylvie Topaloff l’interroge : «Et quelle signification donnez-vous à ces suicides ?» Las, Didier Lombard revient sur ces «chiffres gonflés artificiellement» par un phénomène médiatique. Dans une dernière tentative, Me Jean-Paul Teissonnière demande : «Vous ne regrettez rien ?» Réponse laconique : «Je ne répondrai pas à cette question.»
Via le site de Libération

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