Enjeux des négociations sur la modernisation du dialogue social : une déflagration sans précédent

29 décembre 2014 | Emploi et Chômage

Dans le cadre des négociations interprofessionnelles en cours sous l’égide du Ministère du Travail, les dernières propositions du MEDEF constituent une véritable révolution du mode de fonctionnement des institutions représentatives du personnel, sans commune mesure avec les entailles déjà profondes du dernier accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier dernier, qui avait abouti à la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013.

Ces propositions, que certaines organisations syndicales seraient prêtes à signer moyennant quelques modifications de façade, entraîneraient une déflagration sans aucun précédent, un retour en arrière phénoménal, un anéantissement pur et simple des institutions représentatives du personnel qui ne seraient plus désormais que des marionnettes. Nul doute que les syndicats subiraient alors le même sort.

Ce qui se joue aujourd’hui n’est ni plus ni moins que la capacité des institutions représentatives du personnel à jouer le moindre rôle efficace et utile, celui, il faut le rappeler, de la représentation des intérêts des salariés, conformément à l’article 8 du préambule de la constitution du 27 octobre 1946, aux termes duquel « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ».

Dans un contexte où les juridictions du travail sont engorgées, où bien des salariés doivent attendre 3 à 4 années pour avoir un jugement du Conseil de Prud’hommes en région parisienne et au moins 3 années encore pour obtenir une décision d’appel qui infirmera dans 80 % des cas la décision rendue par le Conseil de Prud’hommes, soit 7 à 8 ans au total ! Dans un contexte où, finalement, les seuls remparts efficaces qui subsistent encore aujourd’hui pour protéger les intérêts des salariés sont les institutions représentatives du personnel.
Dépénalisation du délit d’entrave
Un premier rempart est en voie de céder : celui de la pénalisation du délit d’entrave qui, sous couvert de crainte des investisseurs étrangers (mais qui pourra croire une telle explication ? Très certainement pas les avocats qui ont déjà travaillé dans des cabinets internationaux pour lesquels, jamais, au grand jamais, une telle crainte n’a été exposée) est en voie de céder avec le projet de loi Macron. Désormais, les employeurs pourront tout faire : truquer les élections, insulter les représentants du personnel, les menacer, faire du chantage à l’intéressement aux élections, multiplier refus de consultation sur refus de consultation et il y a de multiples autres exemples. Les quelques amendes civiles ne pourraient certainement avoir le moindre effet dissuasif ou il faudrait alors instaurer la notion de peine civile avec des sanctions pécuniaires très élevées. Mais ce n’est pas le cas.
Simple rôle de « conseil »
Le deuxième (et dernier) rempart (celui de la voie civile) est aujourd’hui en voie de céder dans le cadre des négociations d’ANI actuelle. Selon le texte du MEDEF, il s’agit d’effectuer « un cap décisif [qui] pourra ainsi être franchi, démontrant que le dialogue social est un puissant facteur de modernisation de notre pays ».
De fait, le cap proposé est tellement décisif qu’il n’y aura plus aucun dialogue social ! Le meilleur symbole de ce « cap décisif » est très certainement celui de la nouvelle dénomination du comité d’entreprise qui se voit désormais appelé « conseil d’entreprise ». Tout est dit…
Conformément à l’article 8 du préambule, les instances représentatives du personnel ne permettent plus la « participation » des « travailleurs » à la « détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ». Elles sont désormais reléguées à un simple rôle de « conseil ». Autant dire, rien ! C’est ainsi que tout l’esprit du préambule de la constitution du 27 octobre 1946 vole en éclats et que l’on assiste à un retour en arrière à la IIIème République. Sous cette question de sémantique, c’est ce dont il s’agit.
De fait, dans le texte du MEDEF, chacune des mesures a été soigneusement pesée et posée ; chacune d’entre elle ne vise qu’à affaiblir et réduire à néant le pouvoir du comité d’entreprise ou (faut-il déjà le dire ?) du conseil d’entreprise. Il convient d’en brosser les plus essentielles, celles qui sautent immédiatement aux yeux.
Rien de nouveau pour les entreprises de 11 à 49 salariés. L’article 2.1.3 indique simplement que le conseil d’entreprise reprend les prérogatives et moyens actuels des délégués du personnel. Pourquoi donc cette volonté de changement de dénomination, si ce n’est pour l’exemple, pour la sémantique ?
Pour les entreprises de 50 salariés et plus, c’est l’hallali
Généralités : la fusion des délégués du personnel, des comités d’entreprise et des CHSCT et la mise au chômage programmée de plusieurs milliers de représentants du personnel.
D’abord, le texte patronal prévoit une fusion des délégués du personnel, du comité d’entreprise et du CHSCT, dans le cadre d’une institution unique : le conseil d’entreprise. De nombreux représentants du personnel vont ainsi perdre leur mandat et une grande partie d’entre eux, il faut s’y attendre, également leur emploi.
Ils pourront certes solliciter des dommages et intérêts en saisissant le Conseil de Prud’hommes pour arguer du fait que leur licenciement était en lien avec leurs anciennes fonctions de représentants du personnel mais leurs avocats devront d’abord leur apprendre la vertu de la patience.
Puisqu’internet permet aujourd’hui un traçage des activités syndicales des salariés, puisque tous les chasseurs de têtes appellent constamment les anciens employeurs pour obtenir des informations sur les états de service du chômeur, on peut se douter que cela va aboutir à une catastrophe sociale sans précédent, pour plusieurs milliers voire plusieurs dizaines de milliers de représentants du personnel.
La disparition du CHSCT, bête noire du patronat, et la fin de l’obligation de santé et de sécurité de résultat
Aux termes du numéro spécial de Liaisons Sociales consacrées à cette institution (juin 2013), « le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail est le premier acteur de la prévention des risques professionnels dans l’entreprise ». C’est bien pour cela qu’il faut l’anéantir !
Pour toutes les entreprises comprises entre 50 et 500 salariés, c’est la disparition pure et simple du CHSCT qui est annoncée… Sauf s’il existe un accord d’établissement ou d’entreprise, dixit benoîtement le texte du MEDEF, c’est-à-dire en termes clairs si l’employeur est d’accord… Autant prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages.
Exit le rapport de 170 pages du Professeur Pierre-Yves Verkindt du 28 février 2014, qui avait mis l’accent sur l’importance prise aujourd’hui par les questions relatives au travail et par la nécessité de bénéficier de représentants du personnels spécialisés dans cette matière.
Faut-il rappeler l’explosion des cas de harcèlements, d’épuisement professionnel, d’astreintes jour et nuit et de sous-traitance ? Faut-il rappeler les problématiques récurrentes de TMS, de produits cancérigènes, d’incendies, de bruits d’agressions physiques, d’accidents de transports, de déménagements effectués pour dégraisser à bon compte les effectifs ?
Le CHSCT existe depuis les amendements Auroux de 1982 (soit depuis 23 ans) et personne n’y a rien trouvé à redire jusqu’à très récemment.

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