La question de la violence

07 juin 2016 | Emploi et Chômage, Stress Travail et Santé

La violence est dans le travail et dans la société. On la côtoie souvent, mais on en parle peu. Le plus difficile est de la voir lorsqu’elle est invisible et de l’entendre lorsqu’elle est muette ; et il en est souvent ainsi. Pour découvrir les traits de caractère d’une violence qui avance masquée il faut de la clairvoyance. On la devine chez l’autre et on la reçoit grâce à une brève communication.

Beaucoup se taisent mais certains parlent. Et pour parler, il faut encore se faire violence… la violence prend forme dans les mots qui renvoient à une petite histoire qui dessine un contexte particulier. C’est ici que tout commence. Elle sort du corps ou elle était prisonnier et on obtient le début de son existence et de sa reconnaissance. Un récit de vie suffit à la dépeindre, sans pour autant la comprendre et l’arrêter.

Il sera parfois à notre tour de nous exprimer car elle nous habite de la même manière, et on le découvre sur le tard. Seul, ou grâce aux autres.

Il est à notre tour de nous exprimer. Au fur et à mesure que la langue se délie, l’ami qui écoute et le psychologue qui travaille peuvent aider à mettre des mots sur la violence. Dans le monde du travail, Marie Pezé a eu l’occasion d’entendre beaucoup de témoignages et à pu en rendre compte. Des écrivains et des ouvriers ont également pris la plume et la parole pour raconter le travail : ce qu’il est et ce qu’il est devenu. Les témoignages partent du préjudice pour évoquer une violence perdu dans le mode de production. Le pari est de mettre la main sur la violence. Pour cette enquête semblable à une enquête policière il ne reste que les traces présentent dans différentes parties du corps du confident, dans sa psyché, dans ses silences et dans ses mots. Il convient de faire parler ses blessures qui ne laissent pas toujours une marque visible sur le corps. Une fois qu’on a réussi à en extraire les mots, il faut faire parler les mots.

Ce travail basé sur la communication permet d’apercevoir le lien entre effet de la violence et violence, en pensant celle-ci comme un événement non pas hors norme mais infra-ordinaire.

Les temps qui courent ne nous encouragent pas à avoir cette vision profonde de la violence qui plonge ses racines dans l’autorité, le travail, le lieu de vie. Lorsqu’on tourne la tête au moindre bruit de vitrine cassée on ne fait pas attention à l’ordinaire. On ne fait pas attention à ce qui se passe ici, dans la maison, là dans la rue. On considère la violence comme extérieure à nous même alors qu’elle ne nous est pas si étrangère. Nous devrions le savoir.

Considérer la violence comme un événement ponctuel qui se traduit directement par un fait qu’on a sous les yeux ou qu’on nous met sous les yeux est une lecture erronée en raison du présupposé qui veut que l’ordinaire soit un temps neutre, vierge de toute violence. Lorsqu’un élément viendra troubler cette vie qui serait un long fleuve tranquille on pensera enfin reconnaître la violence. On pensera avoir le doigts dessus, enfin la tenir, la capter. Rien du tout : on aura le doigt dans l’œil.

Mais où est la violence ?

Petit tour d’horizon.

Travail

La violence est au cœur des rapports au travail qui restent des rapports de subordination. Lorsqu’on a un travail on a un emploi, mais on n’a pas de travail. Nous ne sommes pas des artistes qui travaillons comme on le fait à la maison ou durant son temps libre, nous sommes des employés soumis à une organisation du travail et contraint de porter jusqu’au final un projet qui n’est pas le notre. On ne scuplte pas selon notre désir, on fait ce qu’on nous dit de faire. Le subjectif s’oblitère. Et c’est pour ça qu’on est mal barré. On se prend pour nous même alors que nous sommes un autre. On regarde le produit de notre travail comme venant de nous alors qu’il n’a rien de nous, à part notre énergie et notre temps qu’il nous a soutiré. Le produit de notre travail nous est étranger.

On produit ce que les patrons veulent et dans les conditions qu’ils souhaitent. Pour donner un petit coup de fouet aux travailleurs souvent enclins à la paresse, une nouvelle organisation du travail s’est mise en place pour corriger les erreurs de la précédente, lisser les conflits, diviser, stimuler. Il s’agit de laisser des marges de manœuvres aux salariés mais sans leur laisser le pouvoir. Leur faire accepter d’abord une culture d’entreprise. Pour qu’ils respectent et aiment cette culture. Quand les travailleurs sont devenus dans la nouvelle langue des collaborateurs dociles et dévoués à la boîte, qu’ils considèrent leur, le combat est gagné. L’intoxication a fonctionné.

Si la concurrence donne le La dans le monde économique depuis de nombreuses années, ces nouvelles techniques de management pour gérer « le capital humain » sont relativement nouvelles, si bien que certains ont vu le changement et l’on décrit. C’est le cas par exemple de Marcel Durant qui en fait référence dans son livre Grain de sable sous la capot. Il s’agit de faire comprendre aux collaborateurs qu’on est tous dans le même bateau et qu’il faut que chacun se donne entièrement à l’entreprise pour qu’elle puisse engendrer un peu plus de bénéfice, et pour qu’il soit possible d’assurer l’avenir. Rien n’est gagné d’avance. La continuité dépend de la santé financière de la boîte qui dépend du dévouement de chacun. Les risques économiques sont transférés vers les salariés. En d’autres termes : si ça marche, aux actionnaires et dirigeants d’entreprise les lauriers et conférences de presse, et si ça ne fonctionne pas, ou un peu moins bien, les salarié.es trinquent. Les intérimaires d’abord, les autres ensuite. Mais avant la fatalité des pots cassés, les travailleurs vivent sous pression comme s’il s’agissait de leur propre boutique ou de leur propre usine. Tout repose sur leur épaule. Le futur est entre leurs mains. Ils sont partie prenante d’un projet. Il ne vendent pas uniquement leur force de travail, ils font le pari que l’économie tourne et que tout roule…pour cela il faut travailler mieux et plus vite et suivre le guide. On attend d’eux qu’ils donnent leur énergie et savoir faire, qu’ils rendent des comptes, s’évaluent, s’auto-corrigent, se fassent évaluer, donnent encore… mais acceptent de peu recevoir.

Les salariés vivent sous pression, et plus encore lorsque le chômage est élevé. C’est une arme dont se servent abondamment les employeurs pour exploiter mieux et exploiter plus, faisant fi de ce qu’il reste du code du travail et de la solidarité ouvrière. Celle-ci a été bien écorchée par l’individualisation des contrats, la précarité, la flexibilité. On n’a ni les mêmes horaires ni le même salaire. La riposte est donc plus difficile. On baisse la tête et on s’exécute. Dans beaucoup usines, les travailleurs ne doivent pas se rencontrer. Chacun reste dans son secteur, accroché à sa machine à café. Comme il est de plus interdit de parler pendant le travail, autant dire que le lieu n’est pas propice à la libre expression des travailleurs. On travaille seul, on prend sa pause seul et l’on mange seul (ou avec le moins de personnes possibles). Il s’agit de fragmenter les collectifs et de tenir les producteurs par la peur…la seule manière d’améliorer son quotidien pourrait on croire serait de recevoir les mérites de son chef, en ce pliant aux nouvelles demandes, même les plus stupides. Répondre présent à tout ce que l’on veut de nous. Se démarquer par la rigueur, le dévouement et la qualité. C’est pourtant souvent par là que les problèmes commencent. Pour Thomas Coutrot (coprésident de l’association Attac) « L’organisation néolibérale du travail, fille de la gouvernance actionnariale, a provoqué la montée générale des risques psychosociaux et de la souffrance au travail. Partout les objectifs chiffrés instaurent une pression permanente et délétère. Partout le travail est devenu plus intense (juste-à-temps, Lean, reengeneering…) et plus répétitif (reporting, standardisation, normes qualité, etc). Les salariés vivent de plus en plus des conflits éthiques douloureux : devoir mentir aux clients, sacrifier la qualité pour tenir les coûts ou les délais… Ils souffrent aussi gravement de l’insécurité des situations de travail, même pour ceux qui sont en CDI mais voient les plans sociaux se succéder. On sait que les maladies industrielles, qui touchaient surtout les ouvriers, ont longtemps fait l’objet d’un déni organisé (silicose, amiante…). Le scandale de l’amiante a fait sauter le mur du silence, surtout quand les associations de victimes se sont extraites du face-à-face entre employeurs et syndicats (toujours en butte au chantage à l’emploi) pour faire de l’amiante une question de santé publique. Aujourd’hui les pathologies associées à l’organisation néolibérale du travail ont massivement atteint les couches intermédiaires et supérieures du salariat, même si les ouvriers et les employés restent les plus touchés ».

La course est encore plus difficile si on est une femme. D’entrée de jeu on a en moyenne un salaire 25% plus faible de celui d’un homme. Rien d’étrange : Le sexisme est partie intégrante de la nouvelle loi du capital en ce qui concerne l’organisation et la culture d’entreprise.

Voyons trois récits de vie.

« Ma vie de caissière. »

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