« Le Monde » donne la parole, chaque jour, à des personnels soignants en première ligne face au coronavirus. Ils racontent « leur » crise sanitaire. Épisode 10.
Ils travaillent à l’hôpital ou en médecine de ville, ils sont généralistes, infirmières, urgentistes, sages-femmes : une quinzaine de soignants, en première ligne face à la pandémie de Covid-19, ont accepté de nous raconter leur quotidien professionnel. Chaque jour, dans ce « Journal de crise », Le Monde publie une sélection de témoignages de ces « blouses blanches ».
« On a franchi un cap dans la saturation de notre service »
Thomas Gille, 38 ans, pneumologue à l’hôpital Avicenne, Bobigny (Seine-Saint-Denis)
« C’est de pire en pire, on ouvre un secteur Covid aigu ou post-aigu à peu près tous les jours et ils se remplissent instantanément. Tous les services d’hospitalisation conventionnelle, la réanimation et les urgences sont pleins à craquer. C’est difficile. On a franchi un cap dans la saturation.
On a beaucoup de mal à faire sortir les patients car notre seule voie de sortie, quasiment, c’est le retour à domicile. Il faut être inventif et se mettre en lien avec des structures qui peuvent poursuivre l’oxygène au domicile du patient et passer régulièrement pour être sûr que tout va bien. Quatre de nos patients en réanimation sont partis ce matin en TGV médicalisé pour Rennes.
« Le virus est tellement contagieux et les mesures barrières si difficiles à respecter à la maison que, souvent, la majeure partie de la famille tombe malade »
Hier a été un tournant dans notre service : on a dû ventiler avec une machine et un masque trois patients dans notre salle, dont un jeune de 21 ans, a priori sans antécédents et en bonne santé par ailleurs. Finalement, il est descendu en réanimation et est resté stable dans la nuit. Les deux autres (un quadragénaire et un sexagénaire) vont en réanimation ce matin. On a réussi à pousser les murs et à faire un échange de malades.
Outre les machines et les masques, ce qui nous manque c’est de la tuyauterie et des pièces de raccord. Hier, un chirurgien plasticien de l’hôpital s’est proposé pour aller récupérer des masques de plongée Decathlon et fabriquer des raccords avec son imprimante 3D.
Le virus est tellement contagieux et les mesures barrières si difficiles à respecter à la maison que, souvent, la majeure partie de la famille tombe malade. Dans le 93, la contagion se fait d’autant plus facilement dans les catégories socioprofessionnelles les plus défavorisées, où les gens sont nombreux dans des petits appartements.
Ce serait important que des structures d’accueil pour les patients contagieux puissent être proposées à ceux qui le veulent. Mais de là à forcer les gens à se mettre en quarantaine… Il faut bien peser les bénéfices de santé publique versus les risques d’une diminution des libertés individuelles. »
« On voit des personnels d’autres pays habillés comme des cosmonautes. Nous, on se sent un peu légers »
Angèle Vesin, 26 ans, infirmière urgentiste, centre hospitalier Alpes-Léman de Contamine-sur-Arve (Haute-Savoie)
« En tant qu’infirmière urgentiste c’était mon tour de SMUR hier, et j’ai participé à des transferts de “Covid” d’un hôpital à un autre. Dans notre groupement régional, c’est Alpes-Léman qui, avec Annecy, a le plus gros plateau technique : selon les besoins, soit on sort des malades de réanimation chez nous quand ils vont un peu mieux, soit on en prend d’autres qui malheureusement vont rester à l’hôpital.
Ces interventions prennent beaucoup de temps, deux heures au moins de préparation au départ, même chose à l’arrivée. Il faut nous équiper, équiper l’ambulance. Avec les collègues, on est en tenue complète, soit blouse, charlotte et lunettes. Les patients sont intubés, avec du matériel lourd. Quand on rentre, une grosse désinfection de tout le matériel est à réaliser.
« Tous les jours, nous signons nos feuilles d’assignation, nous sommes encore grévistes, même réquisitionnés par le plan blanc »
Pendant ces trajets, nous sommes confinés à l’arrière de l’ambulance pendant quarante minutes avec le patient. Je n’ai pas la boule au ventre, mais c’est un peu stressant. J’essaie de relativiser en me disant que dans d’autres hôpitaux ou en maison de retraite, certains soignants manquent de tout. On voit parfois des personnels d’autres pays habillés comme des cosmonautes, avec rien qui dépasse. Nous, on se sent un peu légers. Maintenant je prends toutes mes douches au travail. Je me change complètement avant de rentrer. Je fais attention à mon conjoint. Chacun veille sur ses proches.
Le flux de patients continue d’augmenter chaque jour. Notre service de réanimation est complet. L’unité de soins intensifs de cardiologie, dans laquelle des lits ont été installés, aussi. La salle de réveil sera utilisée en cas de débordement. Aux urgences, des soignants guéris du Covid sont revenus mais trois autres sont partis se reposer chez eux, c’est une sorte de relais !
Même si la situation est compliquée, je suis contente de faire ce travail. Mais tous les services d’urgence sont en grève depuis un an. On est en situation délicate tous les jours de l’année, hors crise, dans les services hospitaliers. On a besoin de lits, d’équipements. Et tous les jours, nous signons nos feuilles d’assignation, nous sommes encore grévistes, même réquisitionnés par le plan blanc. Nos revendications ne changent pas avec la crise sanitaire. Le président a promis des aides, des productions. Très bien. On a vraiment envie d’être écoutés. »
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