« Les ordonnances Macron ont détricoté le droit du travail », par Rachel Saada

05 octobre 2019 | Dans la Loi

Après Stéphane Béal du cabinet Fidal (1), au tour de Rachel Saada, avocate, spécialiste en droit du travail et membre du réseau d’avocats L’Atelier des droits et du Syndicat des avocats de France (SAF), de revenir sur les ordonnances Macron, deux ans après leur entrée en vigueur.


Propos recueillis par Jean-François Rio pour Liaisons-sociales.fr27/09/2019


Liaisons Sociales : Après deux années de recul, quel bilan dressez-vous des ordonnances Macron ?

Rachel Saada : Ce que nous redoutions, notamment avec mes confrères du SAF, avant même la publication des ordonnances Macron, est en train de produire : la mise en œuvre de ces textes s’apparente à une entreprise de désarmement des droits individuels et collectifs des salariés. Le droit reste une arme pour le justiciable. Or, avec ces ordonnances, le gouvernement freine toute entreprise de résistance pour les salariés. C’est notamment vrai pour le droit du licenciement. Le message que les pouvoirs publics ont envoyé aux employeurs est « on va vous tarifier la violation de la loi ». C’est comme si on disait « pour sauvegarder la compétitivité des cliniques, les victimes d’erreurs médicales auront une indemnisation plafonnée qui ne tiendra pas compte du préjudice subi ». Je n’ose même pas imaginer le tollé qu’une telle mesure aurait pu provoquer. Mais là puisque c’est du droit du travail, le salarié victime d’un licenciement abusif se voit appliquer un plafonnement de ses indemnités. Tout ceci se double d’une complexification de la procédure prud’homale, désormais pavée de chausses-trappes, qui a pris racine avant les ordonnances. Résultat : avant la réforme de 2016, quand il me fallait une petite heure pour lancer la procédure il me faut aujourd’hui une demi-journée, avec à la clé un renchérissement des honoraires pour le justiciable. La justice prud’homale est devenue un produit de luxe. Sans compter que lors de la mise en état par le Bureau de conciliation et d’orientation, je risque une radiation si une simple date n’est pas respectée. Ce que produisent ces réformes c’est un détricotage du droit du licenciement, et donc, par ricochet, du droit du travail.

LS : Les ordonnances Macron ont-elles permis au dialogue social de se régénérer dans les entreprises?

R. S. : Non. Les prétendus accords innovants vantés par la ministère du Travail ne sont le fait que d’une poignée de grands groupes. Dans les faits, les entreprises ont réduit de façon drastique le nombre d’élus ainsi que leurs prérogatives. Comment dès lors faire davantage de dialogue social avec moins de représentants du personnel ? C’est encore plus problématique dans les entreprises de taille modeste dont sait que les élus manquent de moyens pour accomplir leurs mandats. En tant que spécialiste des questions de souffrance au travail, je suis également révoltée par la disparition du CHSCT dont nous n’avons pas encore mesuré les effets dévastateurs sur les conditions de travail et la santé des salariés. Avec la fin de cette instance, les compétences développées par les élus sur les questions de santé et sécurité au travail vont disparaître. Pour le plus grand malheur des salariés.

LS : N’y-a-t-il pas une seule disposition issue de ces textes qui trouve grâce à vos yeux ?

R. S. : En cherchant bien, je dirai la réduction à 8 mois, au lieu de 12, de la durée d’ancienneté nécessaire à l’obtention de l’indemnité légale de licenciement ainsi que la hausse des indemnités légales de licenciement de 25 %. C’est bien maigre. Même la rupture conventionnelle collective, que certains experts ont présenté comme une mesure moins traumatisante pour les salariés que les PSE, me semble moins favorable pour les salariés que les plans de sauvegarde pour l’emploi qui autorisent eux-aussi des départs volontaires.
(1) Lire l’interview de Stéphane Béal
Via le site www.wk-rh.fr

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