Harcèlement sexuel : Une nouvelle victoire judiciaire pour Jeanne, gardienne d’immeuble.

Harcèlement Sexuel

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Une victoire judiciaire pour Jeanne et pour l’AVFT, intervenante volontaire dans ses procédures, qui, depuis plus de deux ans, l’a aidée à collecter les pièces de son dossier et aiguillée dans ses démarches auprès de nombreux acteurs (employeur, inspection du travail, Défenseur des droits, avocates et juridictions). Une victoire judiciaire loin d’être gagnée d’avance, étant donné l’isolement social et professionnel de Jeanne, sa précarité économique, mais aussi le manque de sérieux de son avocate.

Vendredi 11 octobre 2019, le Conseil de prud’hommes de Paris a condamné un syndicat de copropriétaires, employeur de Jeanne, gardienne d’immeuble et victime de harcèlement sexuel commis par le président du conseil de copropriété, pour « manquement à son obligation de sécurité de résultat » à son égard. Elle a obtenu 15 000 euros de dommages-intérêts à ce titre.

Le Conseil de prud’hommes reconnaît l’existence du harcèlement sexuel, sans pour autant indemniser les préjudices qui y sont liés, puisque l’avocate de Jeanne n’a pas cru bon faire une demande spécifique à ce titre, contrairement à notre pratique habituelle et alors que Jeanne le lui avait demandé à plusieurs reprises.

Il n’en reste pas moins que cette décision représente une nouvelle victoire judiciaire pour Jeanne qui est reconnue comme victime, elle qui se bat depuis presque trois ans pour faire valoir ses droits, après avoir été relaxée du chef de diffamation et de dénonciation calomnieuse.

Il en aura fallu du courage à Jeanne, le secteur du gardiennage étant un terreau parfait pour que des violences s’exercent et pour que les victimes se taisent : caractère isolé du travail, au sein de la loge à l’abri des regards extérieurs, absence de collègues et absence de représentation syndicale.

Jeanne, au salaire modeste, élève seule ses deux enfants sur cet unique salaire. Sa vulnérabilité est accentuée par le fait qu’elle réside au sein de l’immeuble où elle travaille quotidiennement. Il lui est donc indispensable de maintenir des relations cordiales avec son employeur. Il en va de la qualité de son environnement de vie personnelle et familiale.

En raison de cette vulnérabilité, Jeanne a parfaitement conscience des représailles qui pourraient s’abattre sur elle si elle sort du silence.

Ces représailles ne se font d’ailleurs pas attendre. A peine a-t-elle alerté son employeur que M. C. la cite directement devant le tribunal correctionnel de Paris pour diffamation et dénonciation calomnieuse. Les mesures de rétorsion s’intensifient : agressivité verbale, remise en cause systématique de son travail, réflexions à tout propos. Jeanne devra travailler sans chauffage ni électricité dans sa loge (qui n’est pas son lieu d’habitation) pendant plusieurs semaines, situation qui ne prendra fin qu’avec l’intervention de l’inspection du travail. Le conseil syndical va même jusqu’à tenter de supprimer son poste de gardienne, en envisageant l’installation de boites aux lettres dans la loge afin de récupérer lettres et colis et d’un interphone et système de badge individuel pour pouvoir accéder a l’immeuble. Malgré cet acharnement continu, Jeanne a à tout prix tenté de garder son poste, tout en étant régulièrement en arrêt maladie.

L’employeur n’a pas fait appel de ce jugement qui est donc définitif.

Voyons plus précisément les agissements à l’origine des procédures de Jeanne.

Le harcèlement sexuel et le manque de réactivité de l’employeur

Dès la prise de fonction de Jeanne en 2008, le président du conseil syndical, M. C., lui fait des remarques régulières sur son physique et sur ses tenues vestimentaires. Jeanne est incommodée par ces remarques insistantes mais elle ne lui dit pas que ces propos et attitudes la dérangent, de peur que cela ait un impact sur son travail. Ayant connu de longues périodes de précarité professionnelle, mère seule avec deux enfants, Jeanne est contente d’avoir enfin trouvé un emploi en CDI et sa priorité est alors de le conserver.

A la fin de l’année 2015, Jeanne est victime de propos à connotation sexuelle tenus à son encontre par le gestionnaire du syndic. Elle se confie alors à M.C., dont le comportement change soudain : présence à la loge qui se fait de plus en plus régulière ; invitations répétées à déjeuner ; proximité physique intrusive.

Les propos et comportements à connotation sexuelle s’intensifient :
« vous avez de beaux seins et ils sont aussi beaux que gros ».
« je donnerais tout pour que vous soyez ma nana, votre mec a de la chance de vous avoir »
« vous avez une belle bouche à tailler des pipes »
En alternance avec des menaces sur son emploi :
« si vous voulez garder votre emploi, il serait temps que vous me regardiez avec d’autres yeux ».
«  N’oubliez pas que c’est grâce à moi que vous avez eu votre travail. »

Ce n’est pas le premier combat que Jeanne a mené au sein de la copropriété. Originaire d’Afrique Subsaharienne, elle a déjà été confrontée à de nombreux propos racistes et sexistes :
« Sale négresse »
« Bamboula »
« Putain »
« Black de merde » …
Déterminée à ne pas se laisser faire, elle les avait signalés presque systématiquement aux services de police en déposant des mains courantes. Elle avait également alerté le syndic de l’attitude très agressive d’une résidente à l’encontre de ses enfants, ce qui lui a valu d’être poursuivie en diffamation, accusations dont elle a été relaxée en mars 2016.

Il est important de ne pas passer sous silence le fait que le harcèlement sexuel dont elle a été victime est imprégné de racisme et d’un « colonialisme mal digéré », selon les termes utilisés par son avocate, Me Pollet Rouyer (qui n’est pas celle à qui il est fait précédemment et ci-après référence!), lors de sa plaidoirie en défense à l’audience pour dénonciation calomnieuse.

Au cours de cette procédure, deux autres femmes ont même témoigné du même comportement intrusif et sexualisé de M. C., très similaire à celui qu’il a adopté avec de Jeanne. Il a imposé à Mme W., qui souhaitait louer l’un de ses appartements, des propos à connotation sexuelle, il a essayé de l’embrasser, tout en lui disant combien il adorait les « filles asiatiques ». De même, la sœur de Jeanne témoigne des intrusions et invitations répétées de M. C. qui lui confie « combien il était attiré par les femmes de couleur ».

A bout, Jeanne informe oralement puis par écrit son employeur en avril 2017. Elle ne laisse rien passer. Elle renouvelle ses alertes à chaque nouvel agissement de M. C. les 18 mai, 29 juillet, 20 septembre et 6 octobre 2017. L’inspection du travail, ainsi que l’AVFT saisie en juillet 2017, se rapprochent de l’employeur pour le convaincre de respecter ses obligations légales. Malgré ces démarches, Jeanne ne sera jamais informée des mesures prises pour assurer sa sécurité.

L’AVFT est intervenue volontairement dans la procédure. L’audience s’est tenue le 2 juillet 2019 dans de bonnes conditions, les conseillers prud’homaux se montrant à l’écoute de nos arguments et l’avocate du syndicat de copropriétaires peinant à faire valoir ses arguments.

Le conseil a retenu « que le seul courrier envoyé par le syndic à M. C. lui demandant d’une part de ne plus se trouver seul en présence de Mme D. et d’autre part de remettre le double des clés à la loge, est daté du 27 octobre 2017 alors que le premier courrier d’alerte de la salariée, Mme D. envoyé à son employeur, est daté du 23 avril 2017 ; le délai entre ces deux courriers est incontestablement de près de 6 mois ». Pour conclure : « Il paraît incontestable aux yeux du Conseil que la société défenderesse a manqué de réactivité quant à son obligation de sécurité de résultat vis-à-vis de Mme D. »

Les difficultés rencontrées avec son avocate

Les femmes auprès de qui nous intervenons nous font très régulièrement part des dysfonctionnements avec leurs avocat.es. Comme si leur situation n’était pas déjà suffisamment compliquée.

En juin 2018, Jeanne a saisi Me N. sur les conseils de son syndicat afin d’entamer une procédure prud’homale.

Fin juillet, Jeanne, en concertation avec l’AVFT, lui fait parvenir un certain nombre de remarques sur la requête qu’elle a rédigée, plus particulièrement la nécessité de développer la question de l’aménagement de la charge de la preuve en matière de harcèlement sexuel et de distinguer les différents fondements des dommages et intérêts demandés. Ceci n’est pas un détail puisque le Conseil de prud’hommes ne peut pas accorder de dommages et intérêts s’ils n’ont pas été demandés. Pourtant, Me N. les ignore. Aucune modification n’apparaît sur sa version définitive, qu’elle fait parvenir au Conseil de prud’hommes de Paris le 2 août 2018.

Tout au long de sa procédure, Jeanne tentera régulièrement de joindre son avocate, afin que celle-ci prenne en compte un certain nombre de pièces non produites dans la procédures ou nouvelles, notamment attestant des représailles à son encontre, et se mette en lien avec l’AVFT. En vain. Son avocate n’est pas joignable et ne répond pas à ses messages.

Dans les conclusions qu’elle fera parvenir au Conseil de prud’hommes de Paris en février 2019, qui sont un simple copier-coller de la saisine initiale, Me N. ignore de nouveau les observations de Jeanne.

Elle continuera de faire la sourde oreille à ses demandes et à la situation douloureuse dans laquelle Jeanne se trouve, étant toujours en poste et exposée aux représailles professionnelles. Elle refusera catégoriquement de donner suite à la demande de Jeanne de s’opposer à la demande de renvoi formulée par l’avocate de la partie adverse en raison de son retour récent de congé maternité. Et ceci malgré le soutien de l’AVFT et le mail que lui fera parvenir Jeanne :

« S’il est vrai que je comprends sa situation inconfortable, je ne perds pas non plus de vue que le calendrier des procédures a été conçu par, pour et selon votre consœur. En effet aucune date ne lui a été imposée, c’est elle-même qui les a choisies avec le concours de la greffière. […] Si je m’oppose ainsi à cette demande de renvoi, ceci est dû au fait que depuis 2017 ma vie est en suspens, rythmée par des crises d’angoisse ou de panique, rythmée par des antidépresseurs, anxiolytiques et arrêts de travail, rythmée par des convocations devant différentes juridictions, devant les services de police, rythmée par une lutte perpétuelle pour garder mon emploi alors que j’ai toujours été professionnellement exemplaire. Accepter cette demande de renvoi reviendrait pour moi à accepter de souffrir davantage or je suis on ne peut plus lasse et ne souhaite qu’une chose, en finir au plus vite et être enfin reconnue comme la victime que je suis. »

Face à l’insistance de Jeanne de distinguer les différentes sources de préjudice, Me N. ira même jusqu’à lui dire que cela ne se faisait qu’aux États-Unis ! Suite à l’intervention de l’AVFT qui lui a fourni la jurisprudence étayant la demande de sa cliente (1), celle-ci assure à Jeanne qu’elle inclura ce point dans ses conclusions en réponse à celles de la partie adverse … conclusions qui selon son avocate ont été envoyées à la partie adverse début juillet 2019 mais dont Jeanne n’aura finalement jamais obtenu de copie malgré ses multiples relances.

Au moment où les femmes victimes de violences sexuelles décident d’entamer des procédures judiciaires, elles ont déjà dépensé une partie considérable de leur énergie à lutter contre les violences subies et sont considérablement atteintes dans leur intégrité physique et psychique et dans leur santé. Devoir se maintenir en état de vigilance constante et exercer un bras de fer permanent avec ceux et celles qui sont supposé.es les défendre est un repoussoir pour des victimes qui déjà ne saisissent la justice que dans de très faibles proportions.

Le rôle de l’AVFT

Exténuée par les représailles féroces dont elle a fait l’objet et la durée des procédures judiciaires, Jeanne nous a souvent confié son regret d’avoir parlé et que sans le soutien de l’AVFT, elle aurait tout abandonné.

Dix jours après la condamnation de son employeur, elle nous écrit :

« Ma chère Madame Scarpel,

 J’espère que vous allez bien.

Je me permets de revenir vers vous pour vous indiquer combien le fait d’avoir été reconnue comme victime devant le conseil prud’homal m’a soulagée.

Je ne puis, par pudeur, m’étendre sur la douleur que j’ai ressentie durant ces longs derniers mois…

Cela a été extrêmement difficile…

Je tiens une fois de plus à  exprimer ma gratitude :  l’aide de l’association ainsi que la vôtre m’ont été si précieuses.

Merci, merci, merci.

Je continue certes à souffrir mais espère que le mois prochain [date de son audience pour dénonciation calomnieuse], les juges finiront par légitimer mon statut de victime.

Bien à vous,

Jeanne »

Léa Scarpel

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Notes
1.Dans un arrêt du 17 mai 2017 (n°15-19.300), la Chambre sociale de la Cour de cassation a rappelé récemment : « lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail d’agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l’un ou l’autre des salariés de l’entreprise qui l’emploie, il est en droit de réclamer de son employeur l’indemnisation des préjudices distincts résultant, d’une part, de l’absence de prévention des faits de harcèlement caractérisant une violation de l’obligation de sécurité de résultat et, d’autre part, des conséquences du harcèlement effectivement subi ».

Via le site de l’AVFT, Association Européenne contre les violences faites aux femmes au travail : http://www.avft.org/2020/02/17/hs-gardienne-dimmeuble/

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