La qualité de vie au travail. Enjeux critiques

27 juin 2016 | Emploi et Chômage, Stress Travail et Santé

« Il y a de la quantité dans nos pensées comme il y en a dans nos sensations. Et pour le dire en passant, ceux qui suppriment la quantité dans le monde réduisent les actes de pensée à des formes pures, à des actes purs. » Jean Jaurès, De la réalité du monde sensible, 1892.

Tout comme la notion de qualité de vie (QV) promue par la sociologie américaine des années 1950, celle de qualité de vie au travail (« Quality of work life »), forgée par Irving Bluestone une décennie plus tard, semble ouvrir la voie à une philosophie de l’émancipation de l’individu et de la libération de ses énergies au service de la performance organisationnelle et du fonctionnement global de la société. Un nouveau champ théorique est constitué à l’issue de la conférence internationale sur la qualité de vie au travail, tenue en septembre 1972 dans l’état de New York. Un an plus tard est crée le Conseil International de Qualité de Vie au Travail qui reçoit le mandat de promouvoir la recherche et l’échange des connaissances dans le domaine de la santé mentale au travail et de la qualité de vie au travail. Centré sur l’analyse des difficultés soulevées sur le plan philosophique par l’usage de cette dernière notion, mon propos s’articulera autour des trois moments suivants : le premier consacré à l’analyse des rapports existant entre l’espace, le temps et la vie ; le deuxième s’interroge sur le fait de savoir si le dispositif de certification de la qualité de vie au travail, fondement de la prévention des risques psychosociaux (RPS) et de la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) – qui a pour finalité la recherche d’une « performance globale » et « durable » de l’entreprise –, est en mesure de contribuer à la satisfaction du besoin de temps dans un contexte d’intensification et de flexibilisation accrues de la production et de l’exécution des tâches ; le troisième questionne le statut ambigu de la santé au travail promue par la mise en oeuvre des procédures d’accréditation de la qualité de vie au travail.

LE SUJET, LA VIE ET LE TEMPS
Au delà de sa fonction d’instrument d’une politique de prévention, de régulation et de contrôle, inspirée par le mouvement de la refondation sociale, puis par le nouvel hygiénisme, la catégorie de qualité de la vie au travail (QVT), au même titre que celle de risques psychosociaux (RPS), de responsabilisation sociale de l’entreprise (RSE), renvoie à la définition d’un rapport déterminé de la subjectivité à la vie et au temps, en lien avec le questionnement portant sur la définition des modalités unissant vie au travail et besoin de temps. Les procédures de qualité de vie au
travail destinées à marier performance et épanouissement personnel peuvent-elles y contribuer?

L’ère de l’homo debitor
La séquence historique qui est la nôtre est celle où l’oxymore de la « crise sans fin » est employé comme légitimation de l’austérité devenue force réactive de la structuration de l’action politique, avec l’idée constamment mise en avant d’une nécessaire restriction de la satisfaction des besoins humains. Il en va en particulier ainsi pour le besoin de temps requis par toute entreprise de réalisation individuelle et collective. Temps dont le caractère de nécessité se donne désormais à voir sous la figure d’une concession que ferait – lorsque tel est effectivement le cas – l’organisation à l’individu placé de facto en situation de débiteur et non plus de partenaire. Revendiquer la satisfaction d’un tel besoin contredit l’image de l’homme « entrepreneur » de soi 9 , promue par la nouvelle organisation de la production et de la société.

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