La santé et la justice sont aux prises avec le péril de la standardisation

02 septembre 2020 | Stress Travail et Santé

Les deux systèmes subissent un tournant gestionnaire et une standardisation qui compromettent les règles du métier et la qualité du service rendu, s’inquiètent, dans une tribune au « Monde », le psychiatre Christophe Dejours et la magistrate Marie Leclair.

Tribune. La crise sanitaire déclenchée par l’apparition du Covid-19 a mis en lumière, en France, les fragilités du système de santé, fragilités que nombre de personnalités politiques s’accordent maintenant à voir comme le regrettable résultat des politiques néolibérales mises en œuvre depuis plusieurs décennies.

La justice a subi le même tournant gestionnaire. Cette mutation, censée pallier les effets de sa pauvreté endémique face à l’augmentation des contentieux, atteint en réalité l’institution dans le cœur de ses missions, avec les mêmes risques de détérioration de la qualité du travail et de la santé des professionnels. Il apparaît donc pertinent de tirer les enseignements de la crise de l’hôpital public pour réfléchir aux moyens de sauver l’institution judiciaire des logiques qui ne cessent de l’affaiblir elle aussi, menaçant l’équilibre des pouvoirs et, par là, la démocratie.

Les transformations qui ont affecté l’institution hospitalière et, plus généralement, le système de santé en France sont caractérisées par la volonté de maîtriser l’évolution des dépenses par un accroissement du contrôle du travail.

L’application des principes de la « nouvelle gestion publique » [le new public management, développé au plan international à partir des années 1980] vise un accroissement de la productivité qui passe par l’industrialisation des soins. Celle-ci tend à fonder la pratique professionnelle sur le respect de normes standardisées et quantifiées, retirant au professionnel la possibilité de décider lui-même ce qu’est la « bonne pratique », et sanctionnant les pratiques déviantes.

Sélection des patients « rentables »

L’industrialisation des soins engendre des effets pervers. De nombreuses études ont montré la tendance à sélectionner les patients et les tâches « rentables ». Les groupes homogènes de malades (GHM) correspondant à des groupes homogènes de tarifs (GHT) entraînent la formation de stratégies pour se spécialiser dans le soin des patients qui garantissent le meilleur financement.

Les recherches menées sur les modes de financement comparables, aux États-Unis, ont montré que les établissements se sont massivement restructurés, en fermant les services d’urgence peu rentables.

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