L’après « procès France Télécom » : vers un tournant au travail ?

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La condamnation, fin décembre, de France Télécom (devenue Orange en 2013) et de ses ex-dirigeants pour harcèlement moral institutionnel fera jurisprudence dans l’ensemble du monde du travail, estime la fédération FO Communication (FO Com), qui comptait parmi les parties civiles au procès. Elle le sera de nouveau, lors du procès en appel, pour continuer à matérialiser son soutien direct aux victimes. Retour sur un premier jugement historique.

2019 restera l’année où le système judiciaire français a condamné l’entreprise France Télécom, en tant que personne morale, et ses trois principaux anciens dirigeants pour harcèlement moral institutionnel. Une audience démesurée de deux mois et demi, une société du CAC 40 pour la première fois condamnée pénalement pour sa politique managériale, des peines maximales requises et prononcées : un an de prison (dont huit mois avec sursis) et 15 000 euros d’amende pour Didier Lombard, ex-P-DG, Louis-Pierre Wenès, ex-numéro 2, Olivier Barberot, ex DRH ; 75 000 euros d’amende pour France Télécom…

Ce jugement de première instance, prononcé le 20 décembre dernier, fait date pour la fédération FO de la Communication (FO Com), qui comptait parmi la dizaine de syndicats et d’associations parties civiles au procès. Les sanctions prononcées sembleront toujours dérisoires face à la gravité des faits et aux préjudices subis par les salariés, commente Christine Besseyre, secrétaire générale de FO Com. Mais c’est la première fois qu’un tribunal reconnaît la notion de harcèlement institutionnel. Lors du procès, le tribunal correctionnel de Paris a suivi en effet la position des parties civiles qui, comme FO Com, demandaient que soient établies les responsabilités des dirigeants, et de l’entreprise, dans la conduite de la restructuration engagée un an après la privatisation, et ses dramatiques conséquences.

Les plans NExT (Nouvelles expérience des télécommunications) et son volet social ACT (anticipations et compétences pour la transformation) visaient le départ de 22 000 salariés et la mobilité de 10 000 autres en trois ans. En 2008-2009, 35 agents ont mis fin à leurs jours.

Le « harcèlement moral institutionnel » caractérisé

Ce jugement est une révolution juridique. Le droit français n’a pas inventé un nouveau délit : la loi du 17 janvier 2002 a introduit dans le Code pénal le délit de harcèlement moral au travail. Mais le tribunal a caractérisé celui de « harcèlement moral institutionnel. Ce faisant, il le fait rentrer dans la jurisprudence. C’est ce qui nous importe, précise Philippe Charry, ancien secrétaire général de FO Com et membre de l’équipe fédérale chargé des questions juridiques, pour qui ce verdict aura des conséquences pour l’ensemble du monde du travail.

C’était la préoccupation de FO Com, pour que ce qui s’est passé ne puisse plus se reproduire. Contrairement aux autres parties civiles, la fédération avait d’ailleurs choisi de se faire assister par un avocat spécialisé en droit du travail, et non par un avocat pénaliste.

« Ce jugement sera dissuasif pour les directions d’entreprise qui envisagent ou entreprennent une restructuration, commente Philippe Charry. Même s’il s’agit d’un jugement de première instance et donc d’une première jurisprudence qui n’est pas stabilisée [Seule la Cour de cassation, juridiction la plus élevée de l’ordre judiciaire français, permet d’élaborer une jurisprudence faisant autorité, NDLR].

Il encadre précisément la notion de harcèlement moral institutionnel, qu’il définit comme étant le produit d’une stratégie d’entreprise visant à déstabiliser les salariés, à créer un climat anxiogène, et dont l’objet et l’effet sont une dégradation (potentielle ou effective) des conditions de travail.

Élargissement du droit à réparation

Au détour des 345 pages du jugement, le tribunal donne en outre une dimension massive à l’affaire : les 130 000 salariés en poste pendant ce harcèlement moral institutionnel (durant le plan NExT du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008) sont fondés à agir, indépendamment de l’appréciation de (leur) droit à réparation du dommage, autrement dit sans avoir à démontrer l’existence d’un préjudice particulier.

Si, normalement, de nouvelles victimes ne peuvent se raccrocher à un procès en appel, cette décision apparaît comme un autre coup de semonce à toutes les directions d’entreprise, désormais face à un nouveau (et très important) risque financier. Il existe d’autres voies de demandes de réparation devant le juge civil (et devant le tribunal administratif pour les anciens agents publics).

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