"L'éthique n'est pas un supplément d'âme" (Cynthia Fleury)

17 avril 2019 | Stress Travail et Santé

Tout changer ! Oui, mais quoi ? Par qui ? Comment ? Et surtout : pour quoi ?

C’est à y répondre que s’emploieront, le 9 novembre, les prestigieux débatteurs du Forum Cnam-La Tribune. A cette occasion, La Tribune questionne quatorze personnalités qui changent le monde tous les jours. Aujourd’hui, entretien avec Cynthia Fleury, psychanaliste, philosophe, chercheuse associée au Muséum national d’histoire naturelle.
LA TRIBUNE – Parce qu’il cultive individualisme, cupidité, égoïsme et utilitarisme, le capitalisme est-il bien davantage obstacle que ressort aux principes d’individuation et d’irremplaçabilité – c’est-à-dire de réalisation et d’accomplissement de soi ? Un autre modèle doit-il être inventé ?
CYNTHIA FLEURY – Le capitalisme contemporain, à ce point financiarisé et dérégulé, « réifie » les humains. Il est donc totalement incompatible avec le processus d’accomplissement et de singularisation de la personne. En revanche, un capitalisme « encadré » par des règles, et donc assurant une concurrence relativement non faussée, ne serait pas ennemi de l’individuation. Mais est-ce possible ?
Aujourd’hui, nous avons érigé de tels principes de compétition et de rivalité qu’ils portent en eux leurs propres débordements, dans la mesure où ce qui importe plus que tout, c’est la rentabilité à outrance, le profit sans limites. Nous sommes entrés dans un monde de capitalisme entropique, sans cesse excédant les limites de la bienfaisance, toujours prompt à l’exploitation inégalitaire des ressources et des hommes. Résultat, nous avons là un système qui promeut le vice structurellement, qui donne de la valeur aux actes les plus amoraux. N’est-il pas hallucinant et profondément symptomatique que les normes comptables européennes intègrent désormais dans la comptabilité publique les revenus de la prostitution et de la drogue ?
À quelles conditions peut-on espérer être sujet empathique et altruiste, être individu non individualiste, c’est-à-dire échapper à cet individualisme contemporain « qui se vit comme le seul génie des lieux, convaincu d’être l’alpha et l’oméga d’un monde qui n’a ni mystique (le sens de Dieu) ni République (le sens des autres) » ?
Cela relève d’une révolution culturelle majeure. Ces dernières décennies, l’idéologie néolibérale n’a eu de cesse de dévaloriser les comportements sociaux, coopératifs, non exclusivement tournés vers le profit. Soit ils étaient jugés défaillants en termes de performance économique, soit ils relevaient de l’utopie niaise, altruiste. Nous nous réveillons enfin de ce lavage de cerveau, et redécouvrons le caractère proprement rationnel de l’éthique. Celle-ci n’est pas un supplément d’âme, mais une épistémologie, une manière plus juste, intellectuellement et éthiquement, de penser.
L’essentiel est de faire lien. D’être déterminé et disposé à aimer. Aimer est une décision, un libre arbitre, mais aussi un travail. Aimer, c’est politique, car l’amour, l’attraction de l’autre et vers l’autre, le sens de l’autre, construisent l’être.
Propos recueillis par Denis Lafay
Via le site www.latribune.fr

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