Tout le monde est pressé à l’hôpital. On le sait: pas assez de personnel, cadences infernales.
La ou le médecin ou l’interne doivent faire des ordonnances, prendre des décisions sur les traitements. Les infirmier.e.s doivent apporter les soins à tous les patients. Mais l’externe ne peut pas prescrire de médicaments ni prendre de décision sur les traitements. Il peut apporter des soins infirmiers mais cela reste ponctuel.
Donc l’externe a du temps en plus. Du temps pour écouter les patients. Du temps pour chercher plus loin quand on n’aurait que le temps de faire l’urgent. C’est une vraie richesse… mal exploitée.
Lorsque je reste longtemps dans une chambre car, après avoir recueilli les antécédents médicaux, le monsieur s’est mis à me parler des problèmes de sa fille handicapée, quelqu’un va me faire une remarque: « T’étais où? ça t’a pris tout ce temps? j’ai des missions à te confier. » Des missions: envoyer un fax, aller chercher un résultat d’examen trois étages en dessous, tamponner tous les 3 feuillets de tous les « médicaments d’exception » prescrits (satanées ordonnances du diable!).
Il y avait surtout cette petite fille pendant mon stage de pédiatrie, appelons-la Lucie. Elle souffrait d’une maladie grave, une malformation congénitale qui fait qu’elle devait avoir un suivi spécialisé une fois par an. Elle venait pour son suivi spécialisé justement.
J’ai fait son entrée et visiblement elle était en décompensation aigüe de sa maladie. Alors qu’elle venait pour sa visite annuelle, il apparaissait qu’elle décompensait de sa maladie depuis quelques semaines ou mois sans que personne ne s’en soit occupé. Cela m’a mis la puce à l’oreille: qui suivait vraiment cet enfant en dehors du CHU? En parlant avec la maman
de Lucie, rien n’était clair. On lui avait parlé d’une greffe, et puis finalement non, elle ne savait pas trop où tout cela allait. Mais elle était très zen. Quand j’ai demandé aux chefs au sujet de cette greffe, personne ne comprenait vraiment l’histoire. Le chef de clinique me propose de « bosser le cas » et de le présenter au staff.
Je me suis donc plongé dans son dossier. Beaucoup de choses étaient en suspens. Il y avait tous ces spécialistes dans différentes villes qui travaillaient sur le cas de Lucie, mais personne pour fédérer les informations. Je me suis mis à appeler les spécialistes, qui se sont remis sur le cas, m’ont remercié pour mon implication: on faisait avancer les choses. En parallèle, j’ai découvert que Lucie n’avait aucun vaccin à jour et pas de médecin traitant. J’ai fouillé de côté là pour trouver une explication. Il y en avait eu une de médecin dans le temps, mais elle était partie en arrêt maladie, et après Lucie était suivie au CAMSP (où les enfants handicapés de moins de six ans ont un suivi pluridisciplinaire). Le problème c’est qu’entretemps, elle a dépassé les six ans. Alors j’ai appelé le CAMSP, j’ai rappelé l’ancienne médecin traitant, j’ai raccroché tous les bouts de ficelle. La médecin avait repris son travail et voulait suivre Lucie, la maman et Lucie étaient ravie elles adoraient cette docteur. Youpi! Et puis j’ai présenté son cas au staff, j’ai exposé les derniers résultats, j’ai même trouvé un article publié récemment sur sa pathologie. Tout le staff m’a félicité pour mon travail.
Et puis est venu le jour de mon évaluation de stage.
Le chef de clinique est arrivé et il m’a dit d’un ton grave en me prenant à part: « Je suis désolé mais je t’ai retiré cinq points sur ta note de stage. Je pense que tu t’es trop impliqué sur le cas de Lucie. Si tu continues comme ça tu vas te brûler les ailes, c’est pas possible. Désolé mais c’est pour ton bien. »
Donc on m’a sanctionné pour avoir mis à profit ce temps en plus.
Plus tard dans l’après-midi, on me demandera comme souvent de mettre un papier à la poubelle ou de fermer la fenêtre, la porte, de photocopier une ordonnance ou de brancarder un patient. Tâches qui sont acceptables pour un externe et où il est autorisé de « trop s’impliquer ».
Je garderai le sourire de Lucie et sa maman.
Mes ailes vont bien.
Via le blog de L’externe…