Souffrance au travail : ce que l’Éducation Nationale ne peut pas ne pas savoir…

03 octobre 2019 | Suicide Au Travail

Les destinataires des lettres de Christine Renon, la directrice de l’école Méhul de Pantin qui s’est suicidée la semaine dernière, ont été dissuadés de les diffuser…Pas de vagues…Pourtant, le Ministère sait que les risques psychosociaux sont majeurs dans l’Éducation Nationale. Il sait et ne fait rien, chargeant chaque année plus la barque des enseignants… Explication.

C’est une étude de 2016 faite par la Depp, la Division des études du Ministère de l’Éducation Nationale, qui s’appuie sur l’enquête plus globale menée par la Darès. Elle a cette particularité de comparer les risques psychosociaux des enseignants à ceux des autres cadres du privé ou du public. Les risques psychosociaux (RPS), faut-il le rappeler,  sont définis comme « les risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental »
Et les données de cette étude sont sans appel. En particulier pour les 335.000 enseignants du premier degré de l’enseignement public, parmi lesquels on comptait jusqu’à il y a peu Christine Renon, – et même si les 402.000 enseignants du second degré ne sont pas en reste dans la souffrance.
« L’indice global d’exposition aux facteurs de RPS indique que les enseignants, hormis ceux du supérieur, ont une exposition moyenne significativement plus élevée que les autres populations, surtout dans le premier degré. Ils sont suivis par les cadres en contact avec un public. », indique ce rapport.

« Significativement plus élevé »….. Le Ministère le sait, au moins depuis 2016 – et même si les pages «Santé, bien-être et sécurité au travail »  du portail education.gouv.fr virent presque au comique tant le Ministère semble méconnaître les caractéristiques des personnels enseignants ( 900.000 dans le public et privé sous contrat) qu’il ne disjoint jamais, dans ses documents, des personnels non-enseignants (231.000 agents). Au moins les enseignants seront-ils sans doute contents de trouver les noms et contacts des 86 médecins chargés de la santé des personnels ( 86 médecins pour 1 million 131 000 agents…).
Ainsi donc,  « les enseignants, hormis ceux du supérieur, ont une exposition moyenne significativement plus élevée que les autres populations, surtout dans le premier degré. » Et, ajoute l’étude, « parmi les enseignants, le premier degré ressent plus de tensions psychosociales dans son métier, notamment au niveau de l’intensité, de la complexité du travail et du manque de soutien hiérarchique. ». C’est ce qui apparaît dans les annexes qui détaillent toutes les réponses faites ( et qu’on pourra lire in extenso dans le document originel).
L‘intensité et la complexité du travail tout d’abord.Certains ricaneront – par méconnaissance profonde du métier…Mais sans doute toutes les injonctions, les nouvelles demandes faites par l’Institution n’y sont-elles pas étrangères. Faut-il rappeler  ce que disait Christine Renon, l’allusion au  » carnet de suivi des apprentissages rendu obligatoire par l’Institution, mais pas fourni par la-dite institution et que chacun bricole » , ce qui « prend un temps monstrueux aux enseignants »? Faut-il parler du temps infini à entrer les résultats des évaluations nouvellement mises en place, sur un ordinateur personnel, la plupart du temps, parce que l’école ne comporte qu’un seul ordinateur, comme on peut le lire sur les réseaux sociaux qui regroupent des enseignants du premier degré? Des réunions qui se multiplient pour les élèves à « besoins particuliers » toujours plus nombreux? De tout ce qui s’ajoute au quotidien de la gestion d’une classe, tâche déjà si prenante ?

Zoom sur les réponses des enseignants du premier degré, avec des écarts de plus de 15 points avec les autres cadres de la fonction publique en contact avec le public ( et des écarts de plus de 25 points avec les cadres du privé sans contact avec le public).

« Le manque de soutien hiérarchique » ensuite. La notion de « soutien hiérarchique » est complexe chez les enseignants, et surtout ceux du premier degré. Dans les collèges et lycées, en première instance, le supérieur hiérarchique, c’est le principal ou le proviseur ( et leurs adjoints), qui gère l’aspect administratif des choses, même s’il impulse des tendances au niveau pédagogique en concertation avec son équipe. Pour les professeurs des écoles, c’est plus complexe. Le premier recours en cas de difficultés, c’est le directeur ou la directrice de l’école ( mais c’est un pair,  un collègue qui a accepté le rôle de directeur, avec ou sans décharge de classe). Le supérieur hiérarchique à proprement parler, c’est l »‘inspecteur », l' »IEN », qui est à la fois le responsable administratif et pédagogique, un responsable « hors-les-murs » de l’école. Mais peut-être faut-il entendre derrière les réponses des enseignants dans leur globalité sous le terme de « soutien hiérarchique », le soutien de l' »Institution » , comme disait Christine Renon dans ses lettres, , celle dans le « soutien » de laquelle elle disait ne pas avoir confiance, pas plus que dans la « la protection qu'[elle]devrait […] apporter » aux enseignants. Quoi qu’il en soit, la défiance des enseignants du premier degré est manifeste :

Le détail montre un manque d’écoute de la « hiérarchie » et un manque criant de moyens matériels ( + de 20 points d’écart avec les autres cadres de la Fonction publique) :

On ne s’étonnera pas de voir que les enseignants du premier degré, en particulier, se sentent de fait méprisés avec 27 points de plus que la moyenne de l’ensemble des cadres du public et du privé – 20 points de plus que leurs collègues du secondaire….

Tout cela, le Ministre de l’Éducation Nationale ne peut l’ignorer.
Face à la très vive émotion qui a saisi la communauté enseignante à l’annonce du suicide de Christine Renon, qui avait pris soin d’envoyer quinze lettres pour expliquer son geste et le lier intrinsèquement à ses conditions de travail, Jean-Michel Blanquer reste muet ou presque. Dans un tweet tardif, il a évoqué la mort de l’enseignante sans dire le mot « suicide » ni même donner son nom. Si l' »Institution » a tenté d’étouffer les propos accusateurs de la directrice de l’école Mehul de Pantin, le Ministre de l’Éducation Nationale pourra-t-il rester muet devant les chiffres alarmants de ses propres services concernant la souffrance au travail qui manifestement touche gravement les 330.000 enseignants du premier degré – et l’ensemble de la communauté éducative d’une façon générale? Souffrance au travail dont témoigne le fait que les enseignants, de façon significative par rapport aux autres cadres, ne souhaiteraient pas que leurs enfants fassent le même métier qu’eux, un métier qui pourtant fait sens pour eux, parce qu’ils ont le sentiment d’être utiles aux autres, ce que souligne aussi le document…

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